Diapason Magazine: 5 Diapason pour l'album Shostakovich d'Ilya Gringolts, Daniel Haefliger & Gilles Vonsattel
L’acuité sonore d’Ilya Gringolts, Daniel Haefliger et Gilles Vonsattel flatte la verdeur et les envolées du Trio no 1 (1923) en ut mineur. Dans cette page en un seul mouvement, écrite à l’âge de seize ans, nul écho trop souligné de Brahms, Tchaïkovski ou Scriabine ne ressurgit : on y goûte seulement douze minutes d’un certain bonheur mélodique et rythmique. Chostakovitch, échaudé par l’accueil mitigé que l’œuvre reçut à sa création, l’a laissée de côté. Il a eu tort.
Les quatre mouvements du dramatique Trio no 2 (1944) en Mi mineur, sommet du genre au XXe siècle avec ceux de Ravel, Fauré et le 2e de Frank Bridge, ont d’autres implications. Cette stèle dressée « in memoriam Ivan Sollertinski », le mentor et l’ami le plus cher du compositeur, est jouée d’une manière inhabituellement âpre et interrogative dès son premier mouvement, qui n’est pourtant pas le plus spectaculaire. Les accents tourbillonnants du scherzo sont rendus plus virtuoses et agressifs que détendus.
Contrasté, le Lento revient tout juste à une atmosphère plus méditative, tandis que l’interprétation de l’ample finale, avec sa terrifiante danse de mort, concilie une approche intériorisée et une richesse expressive étonnamment violente. Plus proches de la tension parfois trop extravertie du Trio Borodine (Chandos) que de la vision concentrée et nocturne du Trio Florestan (Hyperion, cf. n°595), Gringolts et ses compagnons savent être à la fois rigoureux, limpides, émouvants dans la sonorité et les colorations des divers registres qui sous-tendent l’œuvre.
Aussi austère avec ses séries dodécaphoniques venant heurter une harmonie modale et tonale, la Sonate pour violon et piano op. 134 (1968), contemporaine du grand Quatuor à cordes no 12, relève d’un autre monde.
Elle demeure à maints égards la partition la moins facile d’accès de son auteur. Même Oïstrakh et Richter n’ont pu en pénétrer vraiment la substance, en tout cas pas autant que des duos moins illustres mais autrement subtils : Josefowicz/Novacek (Warner), Faust/Melnikov (HM). Dans les longues phases, mystérieuses et erratiques, des deux mouvements extrêmes comme dans les zébrures du volet central, Gringolts et Vonsattel en maîtrisent toutes les inflexions, burinées et fouillées dans le détail.
Les deux trios avec piano. Sonate pour violon et piano.
Ilya Gringolts (violon), Daniel Haefliger (violoncelle), Gilles Vonsattel (piano).
Claves. Ø 2015. TT : 1 h 08’.
TECHNIQUE : 4/5
Source de l'article: Diapason Magazine, N° 665 février 2018, par Patrick Szersnov
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