ResMusica: 125 ans de musique à La Chaux-de-Fonds
Considéré comme le plus grand village du monde jusque dans les années cinquante, engoncé dans sa réputation de cité horlogère, La Chaux-de-Fonds démontre une vivacité musicale qui en fait aujourd’hui un lieu incontournable ne serait-ce que pour l’acoustique exceptionnelle de sa salle de musique que tant d’éditeurs discographiques privilégient pour leurs enregistrements. Cette année, la Chaux-de-Fonds est à la fête. A celle de sa Société de Musique qui souffle ses 125 bougies. Un sacré bail.
Ce qui pourrait paraître banal, voire évident pour des villes comme Paris, Marseille, Genève ou Lausanne, l’est pourtant beaucoup moins pour une cité de moins de quarante mille habitants. Une ville qui plus est qui doit sa réputation à une tradition industrielle horlogère. C’est l’étonnante et formidable aventure musicale de La Chaux-de-Fonds et sa Société de Musique. Certes, La Chaux-de-Fonds peut se vanter d’avoir donné naissance à l’architecte Le Corbusier, au navigateur Laurent Bourgnon, à l’écrivain Blaise Cendrars et au constructeur d’automobiles Louis Chevrolet, et ainsi d’avoir un patrimoine culturel solide. Mais être le berceau d’une société de musique qui, depuis 125 ans, abreuve ses concitoyens de ce que la musique classique apporte de mieux en termes d’artistes paraît beaucoup moins évident. Si aujourd’hui, le public en prenant son siège pour un concert dans la Salle de Musique de La Chaux-de-Fonds, considère que cela fait partie de la vie culturelle commune, il oublie la passion et la volonté qu’il a fallu à quelques-uns pour porter la musique classique au patrimoine de la cité jurassienne.
Les débuts sont laborieux pour le compositeur et chef d’orchestre Georges-Albert Pantillon (1870-1962) qui, du haut de ses 21 ans et de ses brillantes études de violon à Berlin, décide de promouvoir la musique classique dans la métropole. Jusqu’alors, les tentatives ont été des échecs. Même des virtuoses comme Pablo de Sarasate ou Eugène Ysaÿe réunissaient des audiences inférieures à vingt personnes. Mais, dès 1891, la détermination du violoniste et compositeur, son porte-à-porte insistant chez les gens influents de la ville (qui, quoique faisant partie de la Suisse romande, donc francophone, compte presque un tiers de sa population de l’époque de langue maternelle allemande) lui permet bientôt de réunir les deux-cents premiers membres de la Société de Musique.
Enfin, le 11 février 1893, on pavoise. Pour ce premier concert d’abonnement, Georges-Albert Pantillon dirige un orchestre composé de musiciens du canton. Le lendemain, le journal local encense la prestation avec un moelleux littéraire qui n’a rien à envier à celui des voix qui ont chanté le conte Schneewittchen de Carl Reinecke (1824-1910). L’affaire est lancée et les années qui suivent ne feront que consolider la réputation de la Société de Musique de La Chaux-de-Fonds. En 1896, déjà, elle frappe un grand coup avec la venue de Camille Saint-Saëns en personne. Il est à la console des orgues du Temple Français (aujourd’hui Grand Temple) pour y donner un récital de ses œuvres.
Dès lors, les célébrités se succèdent : Pablo Casals en 1903, Fritz Kreisler et Jacques Thibaud en 1907, Ferruccio Busoni en 1916. En 1921, c’est le tout nouveau Orchestre de la Suisse Romande (dont on va fêter le centième anniversaire cette année) d’Ernest Ansermet qui se produit avec la claveciniste et pianiste Wanda Landowska. En 1939, le tout frais lauréat du Concours de Genève, le jeune (19 ans) pianiste Arturo Benedetti Michelangeli précède Dinu Lipatti (1947), Wilhelm Backaus (1951), Andrés Segovia (1953) et Clara Haskil (1954) sur la scène chaux-de-fonnière.
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Le destin s’est montré reconnaissant pour la ténacité des gardiens du temple de la Société de Musique de La Chaux-de-Fonds en lui offrant le miracle d’une salle de musique à l’acoustique exceptionnelle. Une acoustique qui bientôt intéressera les plus grandes « majors » discographiques. Ainsi en décembre 1990, le pianiste Claudio Arrau grave pour la firme Philips, Drei Klavierstücke D 946 de Franz Schubert pour revenir en mars 1991 et enregistrer la Partita no. 5 en sol majeur BWV 829, et la Valse Romantique et La plus que lente de Claude Debussy alors que le livre II des Préludes y avaient étés enregistrés en 1979. Une année 1991 faste puisque un autre monument du piano, Aldo Ciccolini, s’arrête pendant huit jours à La Chaux-de-Fonds pour y enregistrer son intégrale Claude Debussy pour la firme EMI. Au mois de mai 2000, c’est le baryton François Le Roux qui enregistre aux côtés de Pascal Rogé et du Quatuor Castagneri un CD Ravel, dont les Trois poèmes de Mallarmé pour le compte de Harmonia Mundi. En octobre 2016, l’étoile montante du piano français Guillaume Belom réalise son premier album solo pour Claves. Plus près de nous, le 25 février dernier, dans le cadre de la brillante programmation du 125e anniversaire, le pianiste suisse Francesco Piemontesi enregistre les trois dernières sonates de Franz Schubert.
Souhaitons à la Société de Musique de La Chaux-de-Fonds qu’elle puisse perpétuer pendant de longues années encore la passion qu’elle a réussi à créer autour d’elle et qu’elle conserve la réputation d’excellence que les musiciens eux-mêmes ont construite.
Crédits photographiques : Programme du premier concert d’abonnement le 11 févier 1893 © Société de Musique de la Chaux-de-Fonds ; Salle de musique de La-Chaux-de-Fonds © Alain Kilar
Les albums Claves enregistrés à la Salle de Musique de la Chaux-de-Fonds
(2005) Brahms: Balladen Op. 10, Intermezzi Op. 117 - Klavierstücke Op. 118
(2006) Beethoven: Complete Sonatas for Piano & Violin
(2011) Franz Liszt: 12 Études d'exécution transcendante
(2016) Cristian Budu, Clara Haskil Prize 2013 - Chopin & Beethoven
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