Interview de Patrick Peikert
Claves, label suisse de tradition au service de la musique classique, contemporaine et du jazz depuis 1968
(interview réalisé par Alexandra Aegli, avril 2018, Agence Music Planet, Switzerland, Photo © Patrice Schreyer)
Le label Claves a été fondé à Thoune en 1968 par Marguerite Dütschler-Huber. C'est le premier label suisse et le plus connu pour la musique classique, encore à l'heure actuelle. L'entreprise est fière d'avoir révélé certaines œuvres et certains artistes inoubliables. Les musiciens qui ont marqué l'histoire de Claves sont innombrables, on se souvient évidemment du Duo Crommelynck, des chanteurs Dietrich Fischer-Dieskau, Ernst Haefliger et Teresa Berganza, des flûtistes Peter-Lukas Graf et Maurice Steger, du chef d'orchestre Marcello Viotti, etc.
En 2000, Claves Records devient Claves Records SA. En 2003, Marguerite Dütschler se retire des affaires et vend Claves à Maître Olivier Verrey. C'est alors Antonin Scherrer qui prend les rênes du label. En 2007, il déplace le siège de Thoune à Pully et s'entoure de professionnels pour concevoir une vision stratégique ainsi qu'un business plan, et modernise la ligne graphique des dossiers et pochettes qui accompagnent les disques. La ligne artistique reste la même et a pour but de soutenir les jeunes artistes comme le pianiste vaudois Cédric Pescia ou le Quatuor Terpsycordes, tout en poursuivant les collaborations avec l'Orchestre de chambre de Lausanne et l'English Chamber Orchestra entre autre. En 2010, Patrick Peikert est nommé directeur de Claves Records SA. Depuis 2007, le catalogue du label est petit à petit mis à disposition sur les plateformes de vente comme iTunes, Amazon, eMusic, Spotify et Qobuz. A l'heure actuelle, 580 enregistrements sont accessibles via ces plateformes, dont certains ne sont pas ou plus disponibles dans le commerce.
Après avoir atteint son premier million d’écoutes en streaming en 2012 grâce à une mue numérique maîtrisée, le label Claves revisite l’entier de son catalogue - comptant 580 albums et 7'000 titres en 2017 – et consolide son rythme de publication pour atteindre 1 nouvelle sortie par mois. Même si le marché du classique a mis plus de temps à passer à la dématérialisation de la musique, elle suit aujourd’hui la tendance et connaît une véritable explosion. Ainsi ce sont désormais 70% des ventes qui sont effectuées sur les plateformes de vente numérique. La vente en streaming représentant 40% des ventes pour Claves.
Le label Claves a été fondé à Thoune en 1968. En un demi-siècle, le marché du disque a connu de profonds bouleversements qui ont aussi affecté le monde du classique avec un public pourtant attaché au produit physique. Quelles ont été les conséquences pour un label indépendant comme Claves?
Il est intéressant de relever que pendant ces 50 ans, il a surtout fallu être à l’affût des supports. En 1968, à la création du label, on faisait surtout des 33 tours, puis on a commencé à faire des cassettes puis des CD à partir de 1982. Il y a eu une période de tranquillité, le CD ayant fonctionné pendant 20 ans. A partir des années 2000, Claves a enregistré une chute comme le reste des maisons de disques. Depuis 15 ans, les ventes annuelles baissent. Mais il faut dire que le label Claves n’a jamais été rentable. Claves a fait comme toutes les autres maisons de disques, en payant ces artistes. Cela est possible quand on est une major et qu’on vend beaucoup de disques, mais cela n’a jamais été le cas pour Claves. Les fondateurs ont dû investir leur fortune personnelle pour continuer à assurer l’existence de leur label. Aujourd’hui, nous ne fonctionnons plus de la même façon. En tant qu’indépendante, nous devons non seulement trouver de bons artistes, mais aussi des artistes prêts à financer ou à aider au financement de leurs enregistrements.
Grâce à l’avènement du numérique, la musique ne connaît plus de frontières. Quelles sont les avantages et les inconvénients de la dématérialisation de la musique pour Claves?
Les avantages sont divers; plus besoin de livraison, les enregistrements sont disponibles partout et toujours. Nous avons un produit qui est toujours à disposition et qui ne vieillit jamais, ce qui est révolutionnaire dans l’histoire de la musique, puisqu’un CD peut s’user. Les inconvénients peuvent résider dans la qualité du son, mais aujourd’hui divers systèmes pallient à cela en offrant une qualité audio même meilleure que celle du 33 tours. Aujourd’hui, la qualité de son d’un enregistrement est équivalente à celle sortant du studio. Les métadonnées numériques peuvent poser problème, car nous n’avons pas la possibilité d’indiquer tous les instruments. Une lacune qu’on nous reproche souvent dans la musique classique. En effet, nous pouvons indiquer les noms des musiciens, mais pas les instruments dont ils jouent. Il faut se souvenir que la dématérialisation a été inventée pour le 98% de la musique tournant autour d’un seul interprète. Les booklets/livrets ne sont pas toujours accessibles, sauf sur quelques boutiques en ligne, mais la demande n’est pas très forte à ce niveau.
Depuis votre arrivée chez Claves en 2010, vous avez effectué un énorme travail de revalorisation de son catalogue. De combien de titres parle-t-on?
Il s’agit de 580 disques, englobant également toutes les productions réalisées en 33 tours à l’époque. En principe, tout notre catalogue est disponible en numérique. Nous sommes en train de faire un travail de fouilles, certains 33 tours n’ayant jamais été édités en CD. Nous parlons d’une période de 20 ans et de 180 titres. Sur ces titres, une petite partie n’a pas été éditée en CD. Il y a également eu des recoupements, la durée d’un CD n’excédant souvent pas plus de 60 minutes, alors qu’une production en faisait 80. Certaines œuvres n’ont donc pas été utilisées. Nous faisons un travail de recherche de ces œuvres et c’est pour cela que nous sommes en train de digitaliser les bandes master (les bandes-mères des enregistrements studio). Depuis 2010, le travail de revalorisation réside aussi dans le contrôle des données sur les plateformes de nos partenaires. Nous vérifions si toutes les informations sont correctes. C’est un travail quotidien et nous en sommes déjà à la 3ème révision de notre catalogue. Nous avons des demandes d’ajout d’informations, mais nous devons aussi faire des demandes de correction d’erreurs. C’est un travail permanent. Nous nous sommes également aperçus en 2010 qu’une cinquantaine de disques n’avaient jamais été mis sur les plateformes; mettre en ligne ces enregistrements titre par titre a été un gros travail. Nous disposons actuellement de 7'000 titres (tracks ou pistes) pour 580 albums.
Vous avez atteint un rythme de sortie régulière. Quelles sont vos plus grosses ventes de ces 6 derniers mois?
Nous sortons 1 à 2 albums par mois. Les plus belles ventes sont surtout un panache entre les anciennes et les nouvelles sorties. Les nouveautés marchent relativement bien sur le marché numérique. Il y a eu Cédric Pescia, Mélodie Zhao, Anaïs Gaudemard (NB: 2ème au Concours de la ARD), mais nous avons aussi fait un disque d’Emile Gilels réalisé il y a 20 ans et qui se vend bien. Ce qui se vend le mieux actuellement est un disque crossover avec le pianiste sud-africain Charles Duplessis. L’enregistrement réalisé il y a 30 ans de l’intégrale des Concertos de Boccherini reste en tête des ventes.
La vente en streaming explose dans tous les genres musicaux. Quelle part représentent ces ventes pour Claves?
Chez Claves, nous avons la chance que le téléchargement fonctionne encore, alors qu’il est en déclin pour le marché du disque. Le streaming représente 50%, le downloading (téléchargements) 40% et le reste de nos ventes est réparti en vidéo ou autre support. La technique et le marché évoluant, les ventes en téléchargement baissent depuis 3 ans, même si une partie des consommateurs continuent à télécharger des enregistrements d’albums. Les consommateurs habitués au CD commencent par télécharger pendant 2 ou 3 ans puis comprennent que le streaming est tout aussi intéressant, d’autant qu’il y a des streamings de haute qualité se profilant sur le marché.
Sur quels marchés voyez-vous encore un potentiel d’expansion?
Les marchés représentant un potentiel d’expansion actuel sont les marchés qui sont très forts pour les supports physiques, à savoir l’Allemagne et le Japon. Ces pays ont toujours été parmi les 5 premiers au niveau mondial. Nous sommes encore aujourd’hui à des ventes physiques représentant 70% du marché, mais cela s’effrite. Une perte de 2, 3, 4 ou 5% est énorme sur un marché aussi important. C’est avec le numérique que les maisons de disques peuvent récupérer des 15 ans de chute du physique. Ces deux marchés ne peuvent pas se maintenir avec la vente seule de CD, cela paraît impossible. Il y a de moins en moins de magasins et de lecteurs de disques. La mutation est inévitable. Claves vend en téléchargement depuis 11 ans (le downloading existe depuis 15 ans), les consommateurs sont contents, et le streaming fonctionne bien. Il y a des marchés qui restent faibles pour Claves malgré l’importance des pays, comme la Chine et la Russie pour lesquelles nous n’enregistrons quasi aucun revenu. Les Etats-Unis représentent le marché le plus important pour nous au niveau des téléchargements, suivi du Japon, de l’Allemagne, de la France et de la Suisse, puis de l’Angleterre, des Pays-Bas, de l’Italie et de l’Espagne. Sachant toutefois que les ventes pour les États-Unis représentent trois fois celles pour le Japon qui est pourtant en 2e position.
Le web ne connaissant pas de frontière, les sorties de Claves se distinguent à l’étranger. Parmi les dernières publications en date, citons l’album remarqué de Cédric Pescia «Robert Schumann: The Complete Works For Piano, Vol. VI»
Guillaume Bellom, finaliste français du Concours Clara Haskil 2015, lauréat du PRIX «MODERN TIMES» pour la meilleure interprétation de l’œuvre commandée à Thomas Adès*, Variations for Blanca, Prix Thierry Scherz 2016 des Sommets Musicaux de Gstaad et nominé aux Victoires de la musique classique en 2017, sort le 2 juin 2017 un album enregistré à la Salle de musique de La Chaux-de-Fonds: «SCHUBERT, HAYDN & DEBUSSY: WORKS FOR PIANO»
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