Diapason Magazine: Schumann volume 6 par Cédric Pescia
La pochette du Volume VI de l'intégrale de l'oeuvre de Schumann - partagée entre l'Irlandais Finghin Collins (Volumes I et III), l'Italien Francesco Piemontesi (IV) et le Franco-Suisse Cédric Pescia (II, V et VI) - ne dit rien des précédents albums. Mais la première phrase du texte d'introduction nous apprend que la série arrive ici à son terme.
Ces publications, qui ont accumulé les Cinq Diapason, composent un monument qui ne s'efface en rien derrière les intégrales plus ou moins réussies de Reine Gianoli (Adès-Accord), Karl Engel (Valois-Astrèe), Peter Frankl (Vox), Jörg Demus (Nuova Era) et Eric Le Sage (Alpha). Et nous attendons celle de Dana Ciocarlie (qui a enregistré un album piano quatre mains avec Claves en 2015) annoncée par la Dolce Vita.
Les Kreisleriana ouvrent le premier des deux CD. C'est un supplice de devoir dresser l'oreille pour tenter de différencier les sons si mélangés d'un piano capté trop loin et noyé dans la réverbération (en aurait-on ajouté artificiellement?). Les Fugues Op. 72 qui suivent sollicitent moins les résonances de l'instrument: du coup, on entend mieux ce que l'on ne percevait que dans la nuance piano et les passages les moins chargés de l'Opus 16: le Steinway new-yorkais de 1901 est d'une beauté plus inspirante que suffocante, basses impériales mais douces, medium chantant aux longues résonances, comme celles d'un aigu légèrement couvert mais si fin, si doux.
Du coup, habitué à ce son, on revient aux Kreisleriana: l’interprétation de Cédric Pescia est marquée par l'instrument. Elle lisse un peu les différences - pièces impaires plus noires et pièces paires plus lyriques - en un discours intime, dense, tendre et tourmenté plus que fuligineux et instable. Le pianiste ne manque ni de tempérament, ni de vigueur. Il sait que son piano ne le pousse pas vers les coups de griffe ou les sonorités de porcelaine que Vladimir Horowitz tirait de son Steinway new-yorkais, plus récent, et surtout harmonisé de façon brillante et orchestrale. Pescia est plus "Cortot", bien qu'il ne copie personne.
Les Etudes d'après Paganini - dont Reine Gianoli disait dans un vieil entretien à Diapason qu'elles étaient très difficiles mais beaucoup moins payantes en public que celles de Liszt - sont jouées à la perfection, avec une aisance et un détermination qui leur vont très bien. Mais effectivement, Schumann leur fait perdre le côté funambule de l'original pour violon si bien préservé par Liszt. La Toccata Op. 7 souffre, elle aussi, du brouillard de la prise de son, et sans doute d'une interprétation qui cherche sans doute à faire dire trop de choses à cette mécanique haletante, qui tourne au cauchemar. Ce n’est pas un problème de tempo: Joseph Lhevinne (Naxos) la prend lentement et y est autrement plus convaincant que Simon Barere (APR) qui la joue à fond de train. Martha Argerich (DG) qui ne traîne pas en route, met tout le monde d'accord.
Les Exercices sur un thème de Beethoven (mouvement lent de la Symphonie No. 7) laissent ici entrevoir des beautés qui m'avaient échappé dans d'autres interprétations. Composées en 1831-1832, elles entrouvrent une lucarne sur les Etudes symphoniques de 1834 (que Collins joue très bien dans le Volume III). Les Sonates pour la jeunesse qui referment le second CD, et donc le monument, sont une bénédiction. Pescia se glisse dans cette musique, que Schumann destinait à ses filles, avec un naturel que la sophistication de son jeu ne contredit pas: il use, avec grâce et des sonorités fondues magiques, d'une éloquence qui ne hausse pas le ton pour dire la tendresse que le compositeur a coulé dans des formes strictes.
Robert Schumann (1810-1836)
Kreisleriana. Quatre fugues op. 72. Douze études d'après les caprices de Paganini. Toccata. Scherzo, gigue, romance et fughette. Exercices sur un thème de Beethoven. Quatre marches op. 76. Trois sonates pour la jeunesse op. 118.
Cédric Pescia (piano Steinway & Sons, New-York, 1901).
Claves (2CD). © 2015. TT: 2 h 33'.
Source de l'article: Diapason Magazine, N° 659, avril 2017 par Alain Lompech
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