Un peu d’histoire…
MADAME CLAVES, CLÉS EN MAIN
Claves, pluriel de clavis, en latin: les clés. Comme pour mieux respecter cette pluralité du label, la firme discographique de Thoune a laissé tomber la clé d’ut de ses débuts, inscrivant sur une portée vierge les six lettres de sa raison sociale, en caractères plus modernes. Car ce sont bien plusieurs clés qui ont ouvert les portes du succès de «Claves».
«Claves», c’est tout d’abord une femme: Marguerite Dütschler-Huber, véritable «self—made woman» qui, il y a déjà un quart de siècle, en 1968, et partant de rien, sinon d’un formidable enthousiasme pour l’art des sons et ses serviteurs, a commencé par réaliser un voeu. Admiratrice de son professeur de clavecin, Dähler, elle se débrouille pour faire enregistrer et presser un disque consacré à Bach («Petits Préludes et Inventions à deux et trois voix»), réunissant ainsi quelque 350 souscripteurs.
De 1968 à 1983, une bonne centaine de disques «noirs» (LP) sont édités, le plus souvent doublés par une version sur cassette. Puis, travaillant d’abord avec ]akob Stämpfli, artiste mais aussi pionnier du disque compact en Suisse, Marguerite Dütsehler fait de sa firme la première entreprise discographique suisse à publier les précieuses galettes digitales.
Teije van Gee5t, en Allemagne, est ensuite l’un de ses principaux ingénieurs du son attitrés. Pendant cinq ans, de 1983 à 1988, les «33 tours » sont encore de la partie, avant de laisser définitivement leur place aux CD, comme le veut l’évolution du marché et de la demande. L’une des clés fondamentales de «Claves» est justement la qualité technique des enregistrements: les artistes doivent dire s’ils sont satisfaits par la prise de son; et pour cela, on prend le temps qu’il faut.
Autre clé de la réussite: la fidélité aux interprètes élus par la maison, de Peter-Lukas Graf à Marcello Viotti, de Jörg-Ewald Dähler au Duo Crommelynck, de Thomas Friedli à Klaus Thunemann, en passant par quelques stars confirmées, comme Teresa Berganza, Dietrich Fischer-Dieskau, Ernst Haefliger ou Bruno Giuranna. Mais le maître mot de «Claves», c’est la découverte des jeunes talents, comme Maria Bayo, Bruno Schneider, Ingolf Turban, Jean-François Antonioli, ou le Giovane Quartetto Italiano, sans oublier Ursula Dütschler, véritable «artiste maison» puisqu’elle est la fille de Marguerite!
Découvertes aussi sur le plan du répertoire, essentiellement consacré à la musique de chambre et au récital, malgré quelques incursions symphoniques, actuellement plus fréquentes.
Le courage, donc, est également à la clé, et ce courage paie, si l’on peut dire. «Claves» n’est certes pas une multinationale arrogante, mais son implantation sur le marché mondial du disque n’est pas à négliger: 90% des ventes sont réalisées à l’étranger, avec le Japon comme premier client, suivi par l‘Allemagne, les USA. la France et l’Italie. Et si le marché anglais reste difficile d’accès, la Russie offre de réelles promesses.
Les 200 «titres» édités par Claves» se répartissent sur 1 800 000 disques, CD et cassettes, un stock énorme et toujours disponible pour la clientèle, ce qui est loin d’être le cas des grosses firmes, de plus en plus négligentes, désinvoltes et incohérentes quant à leur politique de distribution « Claves » elle peut tabler sur une trentaine dg distributeur tous azimuts, de la Chine à l’Afrique du Sud, en passant par le Benelux, la Scandinavie, la Nouvelle-Zélande ou le Mexique, entre autres… Mais qui dit distributeur, dit «marges», donc manque à gagner pour la firme éditrice, si elle veut s’aligner sur les prix généralement appliqués par ses concurrents. Il est piquant de constater que le marché suisse reste curieusement restreint: nulle n’est prophétesse en son pays?
En tout cas, Marguerite Dütschler ne baisse pas les bras et ne mollit point: elle travaille sans relâche (et sans cachet), moralement et matériellement soutenue qu’elle est par son mari géomètre.
Si les succès varient entre 3000 et 10 000 disques (ou Cassettes) vendus, certaines pointes sont atteintes, comme les Concertos pour clarinette et basson de Mozart (47 000 exemplaires!) ou le «Voyage d’hiver» de Schubert par Ernst Haefliger (13000).
«Je continuer dans la qualité, sinon… rien » affirme Marguerite Dütschlcr, cette souriante battante qui fait honneur à l’esprit d’initiative, à la créativité et à la convivialité, qualités qui ne sont pas l’apanage de la frigide Helvétie de cette dernière décennie du siècle…
A l’occasion des 25 printemps de «Claves », on souhaite donc bon anniversaire à cette toujours jeune entreprise: puisse Dame Dütschler rester très longtemps Dame «Claves», avec toutes ses clés en main!
Par Pierre Gorjat, 1983
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