Critique de Joachim Carr, par Anouchka Schwok
Ambiance feutrée et éclairage à la bougie, c’est ce que promettent les « Nocturnes » du Festival Cully Classique. Belle ambiance en ce vendredi 19 juin, qui nous promet une plongée intime et historique dans l’univers baroque de Joachim Carr, coup de cœur de La Jeune Critique 2013 au concours Clara Haskil et lauréat du Concours de piano Edward Grieg 2014.
Le jeune norvégien concoctait un programme hétéroclite composé du Concerto en ré mineur pour hautbois attribué à Marcello et transcrit par Bach pour clavier, de la Sonate Reminiscenza n.1 de Nikolaï Medtner (1879-1951) et des Davidbündlertänze de Schumann.
Dans le 1e mouvement du Concerto en ré, la pureté de la main droite de Carr resplendit, tour à tour lyrique et articulée. Carr se fait conteur d’un univers magique et envoûtant. Dans le deuxième mouvement (Adagio), la voix est limpide, chaque note se fait entendre et a sa parole propre.
Que dire par contre du deuxième morceau, la Reminiscenza ? Il s’agit d’une œuvre quelque peu désuète et réactionnaire composée dans les années 20, dont l’auteur, contemporain de Schönberg, était un ardent défenseur de la musique tonale. Cette sonate, comme son titre l’indique, est une résurgence d’une musique passée. En ce sens, Carr rend parfaitement hommage à cette œuvre. Plutôt que de l’interpréter de manière postromantique, en faisant grand usage de pédale, par exemple, il fait, au contraire, le choix d’une articulation claire et simple, en réminiscence d’un morceau préclassique voire baroque. Il donne un souffle nouveau et une légèreté inattendue à la pièce. On apprécie la simplicité du deuxième mouvement qui évite le kitsch et les émotions faciles, et l’on admire la poésie muette et virevoltante de son jeu.
Après nous avoir fait partager sa fragilité et sa juvénilité, Carr montre dans les Davidbündlertänze qu’il est aussi capable de force et de puissance. On peut admirer, au sens laudatif du terme, l’hétérogénéité de son jeu. Le pianiste ne craint ni la cassure ni la violence, ni les émotions contradictoires que suggère la pièce. Les contrastes entre Florestan et Eusébius, les personnages fictifs représentant le double visage de Schumann, sont saisissants et très explicites. La schizophrénie, la folie, la violence et la passion de Schumann ressortent entre ses dix doigts. Bravo !
Carr partage beaucoup avec son public. Sa musique est généreuse et didactique : le pianiste prend son auditeur par la main et peut lui faire aimer des œuvres qu’il n’apprécierait pas sans son aide. C’est un musicien altruiste, dont l’amour de la musique se remarque aussi hors scène. Les jours suivants son récital, il a en effet choisi de passer d’interprète à auditeur en déambulant dans les rues de Cully de concerts en concerts comme n’importe quel festivalier !
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