Clara Haskil autocritique
Clara Haskil fut l’objet de critiques élogieuses, voire dithyrambiques à chacune de ses apparitions sur scène. Celles-ci font état d’un jeu chargé d’émotions et simple, dépourvu d’effets superflus. Pourtant, la pianiste se montrait particulièrement exigeante et insatisfaite. La correspondance de Clara Haskil, conservée notamment aux archives musicales de la Bibliothèque cantonale et universitaire – Lausanne, nous éclaire quant à la personnalité de la pianiste. En-dehors de la scène, Clara Haskil était peu sûre d’elle, loin de la stabilité et de la solide efficacité de son jeu. Jeanne Correvon a accompagné Clara en 1921 lors d’une série de trois concerts en Suisse avec l’Orchestre de la Suisse Romande sous la direction d’Ernest Ansermet.
Elle rapporte en ces termes l’état d’esprit de la pianiste après le premier concert à Neuchâtel : « Au cours de la nuit entière, passée à l’Hôtel de la Gare de Neuchâtel, Clara me répéta d’une voix lugubre cette litanie : "N’est-ce pas, il est furieux, M. Ansermet?" »
1. La pianiste est convaincue de ne plus être engagée par Ansermet à l’avenir. Ce dernier, conquis, l’invitera pourtant régulièrement jusqu’en 1956. Elle souffre d’un manque de confiance en elle. Ses proches en furent témoins tout au long de sa carrière. Même s’il lui arrive en de rares occasions d’être satisfaite de sa prestation, Clara Haskil se montre le plus souvent très autocritique, accusant la presse spécialisée d’être trop indulgente envers elle. Un éminent critique français de l’époque, Bernard Gavoty, plus connu sous le pseudonyme de Clarendon, note : « Elle sort de scène, où elle vient de jouer, avec les couleurs d’aurore, un concerto de Mozart, et elle vous jette au passage, que dis-je, elle vous crache – dans un roulement d’r : "Affreux!" »
2. Exigence démesurée, modestie excessive, ou réels doutes sur ses capacités? Il semblerait que la réponse soit un mélange des trois ; il lui arrive parfois d’admettre qu’elle possède un don, du talent. Parfois, cependant, sa modestie reprend le dessus, comme le montre sa correspondance : « Je vous enverrai deux critiques tellement élogieuses que je n’y comprends rien. J’ai cependant dit à Casals qu’à force d’entendre dire que j’ai du talent, je finirai par le croire… »
3. Elle fait ici allusion à des concerts à Winterthour au mois de février 1947. Elle s’étonne une fois de plus que la critique soit si positive à son égard et lui accorde autant de crédit. Cette angoisse constante ne se manifeste pas uniquement après les concerts, mais également avant ceux-ci. Certaine de ne pas réussir, son moral s’en trouve fragilisé. Heureusement, son jeu reste intact, et ses angoisses disparaissent dès qu’elle pose les mains sur le clavier.
1 SPYCKET, Jérôme, Clara Haskil, p.72
2 GAVOTY, Bernard, [s.t.], Journal des Jeunesses Musicales, 1956
3 SPYCKET, Jérôme, Clara Haskil, p.164
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