(2022) Hanging Gardens, Yannick Délez String 5tet
Catégorie(s): Musique de Chambre Moderne Piano Folklorique, populaire et Jazz
Instrument(s): Violoncelle Piano Alto Violon
Compositeur principal: Yannick Délez
Ensemble: Yannick Délez String 5tet
Nb CD(s): 1
N° de catalogue:
CD 3058
Sortie: 02.12.2022
EAN/UPC: 7619931305820
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HANGING GARDENS, YANNICK DÉLEZ STRING 5TET
MÉANDRES
Ce thème, qui n’est pas de ta plume, s’intègre cependant avec beaucoup d’évidence dans le répertoire de ton quintette. Comme souvent dans ta musique, il y a une « phrase perpétuelle », un flux de discours volontairement peu « carruré ». Cela évoque des méandres, en effet, ne se laissant pas saisir, sans pour autant donner l’impression d’une errance.
Dans le jazz traditionnel, le thème est une base structurée sur laquelle s’installe la liberté de l’improvisation lors des chorus. Alors que dans ta musique, on peut ressentir que l’énoncé du thème évite de dévoiler ostensiblement sa structure et que, un peu paradoxalement, c’est lors des solos improvisés qu’elle se révèle. Est-ce une façon pour toi de questionner voire de bousculer la tradition du jazz, tout en la respectant ?
Oui, c’est vrai. Venant de cette tradition, j’y reste, d’une certaine manière assez attaché. C’est un système très efficace et éprouvé depuis plus d’un siècle! Mais c’est une structure qui tourne littéralement en circuit fermé. Donc oui, je suis souvent en train d’essayer de la bousculer voire de l’abolir. C’est même ce que je recherche dans chaque nouveau projet: l’opportunité de trouver de nouvelles manières de concevoir la structure écriture-improvisation, de fabriquer un langage sur mesure.
Dans cette pièce, j’ai effectivement décousu et disséminé les éléments thématiques verticalement et horizontalement. Non seulement parce que cette pièce (composée par Xavier Good) utilise une séquence mélodique très reconnaissable, mais également parce que c’est une pièce que je n’ai pas écrite. Ça induit un rapport différent à l’écriture, plus libre et plus ludique.
***
GLIDING
Ce morceau, comme beaucoup de tes compositions, semble « durchkomponiert ». Le flux des idées musicales a l’air de procéder avant tout d’une liberté intuitive, mais donne aussi le sentiment d’une construction.
Dans ta technique d’écriture, comment décrirais-tu le rapport entre spontanéité et élaboration ?
Quand tu commences un morceau, te lances-tu dans l’écriture sans plan préalable ? Ou as-tu déjà une conception précise de ce que tu veux entendre et faire entendre ?
J’ai toujours été très empirique dans ma manière de travailler. Je n’ai pratiquement jamais de plan, et si j’en ai un, la pièce finit toujours par s’en éloigner tôt ou tard.
C’est souvent en improvisant qu’une idée se manifeste et enclenche le processus. Il s’agit souvent d’éléments embryonnaires : un accord, une ligne de basse, ou juste un timbre, qui ont soudain l’air d’avoir quelque chose à raconter, d’avoir une identité.
Une fois que la composition est amorcée, j’ai souvent l’impression que c’est elle qui dicte sa direction, auto-induit son équilibre. Je me contente de la suivre, d’être à l’écoute. Donc en ce sens c’est très intuitif.
Par contre, l’élaboration instrumentale de chaque partie, bien qu’étant tout aussi empirique, ressemble à un travail de fourmi, où chaque corpuscule est remanié, disséqué, permuté, pour essayer de trouver quelque chose d’à la fois évident et élaboré.
***
CLÄRCHEN BALLHAUS
Il y a souvent dans tes compositions des épisodes différents, en lien avec une idée initiale. Par exemple, dans « Clärchen Ballhaus » un thème aux mesures et rythmes complexes est suivi d’une section pleine de tendresse sur laquelle se pose une improvisation violonistique, puis d’un solo de piano. Les différentes parties sont unifiées par un motif obstiné et enchaînées de façon organique avec beaucoup d’habileté : comme si chaque nouvelle idée provenait d’un « glissement » depuis la précédente. Dirais-tu que la notion de « variation » est présente dans ton écriture ?
Oui, j’ai grandi avec le jazz, mais la musique dite classique a pris de plus en plus de place au fil du temps. La notion de variation y est beaucoup plus présente que dans le jazz traditionnel, et c’est un moyen que j’ai beaucoup utilisé pour l’écriture des développements, pour éviter la « maigreur » formelle du jazz évoquée plus haut.
Par ailleurs, les approches de l’improvisation des musiciens sont assez différentes tout en donnant un sentiment de belle complémentarité. Comment as-tu rencontré les membres de ton quintette ?
Je n’avais pas du tout envie pour ce projet, d’avoir un quatuor à cordes classique qui « escorte » un pianiste de jazz et qui n’improvise jamais. Mon but était de trouver une configuration qui soit la plus hybride possible, pour avoir une grande variété de scénarios à disposition.
J’ai d’abord contacté Susanne Paul. J’avais entendu son quatuor « MOVE Quartet », qui bien qu’étant composé d’une contrebasse à la place du 2ème violon, me paraissait déjà une très bonne piste pour constituer un quatuor hybride. Elle m’a très vite proposé quelques noms, et même s’il y a eu quelques départs et arrivées depuis, le groupe à toujours été formé de musiciens qui avaient des pratiques de l’improvisation très différentes allant de l’expérimental, au « jazz savant », en passant par la musique des Balkans…
Et dans quelle mesure les propositions des musiciens viennent-elles stimuler ou enrichir ta recherche personnelle ?
Lorsque j’amène une pièce en répétition, malgré le fait qu’elle soit écrite de la première à la dernière note, tout reste à faire. C’est pendant les répétitions, avec les apports de chacun, que les compositions trouvent réellement leur équilibre, sans parler de l’infinie variété qu’offre l’interprétation violonistique qui peut littéralement métamorphoser une pièce. En ce sens, c’est vraiment un travail collectif où toutes les contributions sont précieuses.
***
BIRTH OF A SYLPH
Ce morceau qui semble évoquer un paysage nordique est une improvisation libre. L’entente entre musiciens est telle qu’il ne semble pas moins « écrit » que les autres musiques du disque. Comment travailles-tu l’improvisation avec les membres de ton Quintette ? Quelles en sont les consignes ou sources d’inspiration ?
En effet, c’est une pièce entièrement improvisée dont la seule consigne était « assez court ». Lorsqu’on parle d’improvisation libre comme ici, et non d’improvisation plus « contrainte » comme dans les passages plus typiquement jazz du répertoire, j’évite justement de poser des contraintes ou des concepts, je préfère laisser parler l’intelligence collective et le hasard de l’instant. D’autant plus que dès les premières tentatives d’improvisation libre au début du projet, nous avons tous été frappés par la facilité avec laquelle nous arrivions à nous connecter.
Et quelle part accordes-tu à l’improvisation libre dans vos concerts ?
On s’adapte en fonction des endroits dans lesquels nous jouons. Mais il y en a toujours, parfois dissimulée dans une introduction, parfois comme ici, c’est l’entièreté du morceau qui est improvisé. C’est une pratique à laquelle je tiens beaucoup, car elle engendre toujours de l’inédit dans les plans sonores et l’expressivité du groupe. En tant que compositeur, c’est aussi une pratique qui me permet de faire un pas en arrière, et de laisser le quatuor mener la danse.
***
JAVANAISE
Ce nouveau répertoire donne le sentiment que ton écriture va plus à l’essentiel qu’auparavant.
Dans ce magnifique arrangement du thème de Gainsbourg, et tout au long de l’album, chaque harmonie est ressentie, les mélodies -écrites ou improvisées- sont expressives, ne bavardent pas. Cela correspond-il à une évolution personnelle ? Et dans quelle mesure l’écriture pour quatuor à cordes t’a-t-elle invité à peaufiner ou raffiner ton langage ?
Ce n’est jamais évident de remarquer soi-même ce genre d’évolution. Mais je pense effectivement qu’étant touché par des choses plus simples, il est naturel que ça se ressente dans mon écriture.
Plus généralement, de quelles motivations est venue ta décision d’écrire pour les cordes ?
Ecrire pour quatuor est une décision que j’ai prise et abandonnée plusieurs fois au cours des quinze dernières années! Comme pour beaucoup de musiciens, le quatuor est une sorte d’idéal instrumental irrésistiblement séduisant. Mais pour quelqu’un qui n’est jamais passé par des études d’instrumentation, de composition, ou de contrepoint, et qui souhaite éviter certains poncifs récupérateurs, l’idée d’écrire pour cette formation devient tout aussi intimidante que séduisante. Il a donc fallu du temps pour voir comment intégrer le quatuor à cordes dans ma musique et dans mon jeu qui est souvent assez dense, sans que l’un ne phagocyte l’autre.
***
HANGING GARDENS
Tu qualifies parfois ton style musical de « jazz impressionniste ». Tes bases « jazzistiques » sont bien sûr constamment présentes dans ta musique. Quant à l’impressionnisme : est-ce en référence à la musique française du début du 20ème siècle ? Les harmonies de « Hanging Gardens » rappellent par moment la musique de chambre de Fauré, mais l’expressivité de tes compositions et de ton jeu pianistique me semblent autant romantiques qu’impressionnistes.
Comment décrirais-tu le style de ta musique, et quelles en sont les influences ?
Pour une raison que je n’explique pas du tout, ma musique et mon jeu ont été, au fil des années, de plus en plus comparés à une certaine musique classique, alors que je ne l’ai jamais étudiée et que j’en écoutais que très occasionnellement. Cela m’a donné envie d’aller y voir de plus près, et d’y découvrir, effectivement, une grande affinité avec certains compositeurs de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. De pouvoir également mettre en évidence des intersections entre Ravel, Ligeti, Messiaen, Britten et certains pianistes de jazz contemporain que j’admirais depuis longtemps (John Taylor, Bobo Stenson, Egberto Gismonti, Mario Laghina….).
Romantisme? Oui bien évidemment ! Même si c’est une étiquette plus connotée, il est certain que cela fait partie intégrante de ma manière de m’exprimer.
***
HELIX
Dans ce morceau les deux facettes de ton art – écriture et improvisation – sont particulièrement mises en lumière : le compositeur mélancolique, pudique, énigmatique, « interrogatif », et le pianiste incantatoire, ivre, radieux, virtuose …
La musique est-elle pour toi une façon de relier, de réunir des aspects hybrides, voire opposés, de ta personnalité ?
Oui, je pense que c’est deux aspects extrêmement complémentaires de la pratique musicale, et même nécessaires à mon équilibre psychologique!
D’un côté, la composition: l’arrière-boutique, le laboratoire, le temps long, l’élaboration minutieuse, solitaire… Ensuite vient le moment de l’exécution, de l’interprétation que l’on espère à la hauteur de la recette préalablement élaborée.
L’improvisation est pour moi l’autre plateau de la balance, où il suffit de prévoir un espace dans lequel -au prix d’en maîtriser les difficultés- tout peut arriver à n’importe quel moment, où ce sont la spontanéité et l’imprévisibilité qui prennent la barre. J’ai l’impression qu’une improvisation réussie est celle où le musicien ose et parvient à laisser se produire les choses, à ne pas interférer avec ce qui est en train d’arriver, plutôt que de faire preuve de volonté. C’est un état très singulier où l’on est en même temps très « focusé » et en même temps spectateur.
Ces deux aspects : élaboration rigoureuse et lâcher prise, ont des vertus très équilibrantes pour la musique elle-même, pour les interprètes, mais je pense aussi pour l’auditoire qui reçoit inévitablement une énergie très différente qu’il s’agisse de passages écrits au millimètre ou improvisés.
***
À MAIN LEVÉE
Le rythme du thème semble une mise en forme précise d’une expression hésitante.
L’Improvisation par contraste semble pleine de cohérence, alors qu’elle est « erratique ».
Tant au niveau de la technique d’écriture que des préoccupations langagières et esthétiques, on se situe là plus près de la musique dite « contemporaine » que du jazz. Aimes-tu surprendre les auditeurs ?
Oui, cette pièce utilise un système de notation graphique non conventionnelle, dont le but est d’arriver à se rapprocher le plus possible du langage parlé, avec ces élans, ces hésitations, mais avec une grande précision d’ensemble et sans squelette apparent.
En effet, je ne me lasserai jamais de surprendre l’auditeur. La surprise est l’énergie qui fait avancer la musique, celle qui tient l’auditeur éveillé. Mais bien sûr, pour surprendre il faut déjà parvenir à installer quelque chose.
Depuis très jeune j’aime cette idée que le métier de musicien ou de compositeur consiste à prendre l’auditeur par la main avec bienveillance pour l’emmener là où il n’aurait jamais imaginé aller.
***
SLANDIA
À partir d’un ostinato, tu développes plusieurs plans sonores par additions contrapuntiques, et différentes échelles temporelles, un peu à la manière d’un choral orné. Des procédés qu’on trouve dans certaines musiques américaines mais qui sont dans ton langage appréhendés avec sensibilité, jamais mécaniquement. Quel est ton rapport à la musique dite « minimaliste » ? Et plus généralement, d’où vient ton goût pour les ostinati, les superpositions contrapuntiques et les polyrythmies ?
C’est entre 2000 et 2007, pendant mon passage dans le groupe Piano Seven (7 pianos + percussions) que j’ai vraiment découvert la musique minimaliste. En premier lieu, grâce à toi, tant par la musique que tu écrivais que par les compositeurs que tu me faisais découvrir à cette époque.
Mais j’ai remarqué bien plus tard, que le processus de composition pour ce projet a aussi été très formateur en soi. La quasi infinité de possibilités offertes par ce « monstre » instrumental a développé mon goût pour l’empilement de séquences qui finissent par se fondre en textures, puis passant à l’arrière-plan, pour accompagner une mélodie, qui elle-même engendre une modulation, etc…un peu à la manière d’un long zoom arrière de l’échelle micro à macroscopique.
Au final, j’ai l’impression que la dépaysante complexité du travail d’écriture pour sept pianos et percussions a finalement contribué à fixer une sorte de socle, une mécanique de base dans ma manière de concevoir la composition pour moyens et grands ensembles.
Interview réalisé par Valentin Peiry
***
YANNICK DELEZ piano / composition
Musicien autodidacte dès l’enfance, Yannick découvre la musique comme un jeu, sans contrainte ni guide. Il passe tout son temps libre à imiter les pianistes de jazz qu’il entend sur disques et à la radio. A 18 ans, il entreprend des études de piano à l’Ecole de Jazz de Lausanne, où il est engagé deux ans plus tard comme professeur de piano et d’improvisation. Il développe un jeu personnel au sein de nombreuses formations sur la scène helvétique. Puis il rejoint le groupe Piano Seven (7 pianos + invités) avec lequel il enregistre 4 albums, et se produit dans les plus grandes salles de Hongkong, Sao Paulo, Taipei, Singapour, Beyrouth, Pékin, etc... Il participe à 3 créations du groupe pour lesquels il compose et arrange, notamment à l’occasion de l’exposition nationale suisse en 2002. Le premier disque paru sous son nom est un album en piano solo : Rouges (Altrisuoni 2003), salué par la critique internationale. Il y présente toute la particularité de son jeu de piano à la fois pointilliste et lyrique. Dès cette période, le piano solo s’impose petit à petit comme une évidence dans son travail de musicien.
En 2004 il fonde son trio autour d’une instrumentation singulière : piano, clarinette basse et saxophone soprano avec Philippe Ehinger (clar. basse) et Stefano Saccon (sax. sopr.) Le groupe est choisi pour la tournée Swiss Diagonales Jazz 07. En 2004 il forme un Duo avec la chanteuse Chloé Lévy (Chloé Lévy Yannick Délez Duo) ils enregistrent leur premier album Leinicha à Oslo avec Jan Erik Kongshaug. (Jazzman ****, Télérama ffff). Il sort en 2011 son 2ème album piano solo Boréales sous le label Unit Records. L’album enthousiasme la presse internationale (Concerto *****, Jazz & More *****), et lui permet de jouer à travers toute l’Europe.
En 2011 il s’installe à Berlin où il y découvre pléthore de musiques nouvelles, d’alchimies entre le free jazz, les musiques expérimentales et la musique contemporaine. Il s’attelle à l’écriture du projet NUNAMERATA sorte de camerata à géométrie variable, entre le jazz contemporain, la musique improvisée et la musique contemporaine.
Il sort en 2017 son 3ème album piano solo LIVE / MONOTYPES (Unit Record / DeutschlandRadio) qui est acclamé par la critique. L’album est notamment nominé pour le prix national de la critique discographique allemande.
Parallèlement à la scène, Yannick continue à enseigner le piano et la théorie musicale au sein de l’Ecole de Jazz et Musiques Actuelles de Lausanne (EJMA) depuis 1992, ainsi qu’au Département Jazz de la Haute Ecole de Musique de Lausanne (HEMU) de 2006 à 2012.
Lire les autres bios dans le livret
***
Gerdur Gunnarsdottir, violon
Rodrigo Bauzá, violon
Raphaël Grunau, alto
Susanne Paul, violoncelle
Yannick Délez, piano / composition
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Cover photo: © 2020 Paola Telesca, Series on Nature
(2022) Hanging Gardens, Yannick Délez String 5tet - CD 3058
MÉANDRES
Ce thème, qui n’est pas de ta plume, s’intègre cependant avec beaucoup d’évidence dans le répertoire de ton quintette. Comme souvent dans ta musique, il y a une « phrase perpétuelle », un flux de discours volontairement peu « carruré ». Cela évoque des méandres, en effet, ne se laissant pas saisir, sans pour autant donner l’impression d’une errance.
Dans le jazz traditionnel, le thème est une base structurée sur laquelle s’installe la liberté de l’improvisation lors des chorus. Alors que dans ta musique, on peut ressentir que l’énoncé du thème évite de dévoiler ostensiblement sa structure et que, un peu paradoxalement, c’est lors des solos improvisés qu’elle se révèle. Est-ce une façon pour toi de questionner voire de bousculer la tradition du jazz, tout en la respectant ?
Oui, c’est vrai. Venant de cette tradition, j’y reste, d’une certaine manière assez attaché. C’est un système très efficace et éprouvé depuis plus d’un siècle! Mais c’est une structure qui tourne littéralement en circuit fermé. Donc oui, je suis souvent en train d’essayer de la bousculer voire de l’abolir. C’est même ce que je recherche dans chaque nouveau projet: l’opportunité de trouver de nouvelles manières de concevoir la structure écriture-improvisation, de fabriquer un langage sur mesure.
Dans cette pièce, j’ai effectivement décousu et disséminé les éléments thématiques verticalement et horizontalement. Non seulement parce que cette pièce (composée par Xavier Good) utilise une séquence mélodique très reconnaissable, mais également parce que c’est une pièce que je n’ai pas écrite. Ça induit un rapport différent à l’écriture, plus libre et plus ludique.
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GLIDING
Ce morceau, comme beaucoup de tes compositions, semble « durchkomponiert ». Le flux des idées musicales a l’air de procéder avant tout d’une liberté intuitive, mais donne aussi le sentiment d’une construction.
Dans ta technique d’écriture, comment décrirais-tu le rapport entre spontanéité et élaboration ?
Quand tu commences un morceau, te lances-tu dans l’écriture sans plan préalable ? Ou as-tu déjà une conception précise de ce que tu veux entendre et faire entendre ?
J’ai toujours été très empirique dans ma manière de travailler. Je n’ai pratiquement jamais de plan, et si j’en ai un, la pièce finit toujours par s’en éloigner tôt ou tard.
C’est souvent en improvisant qu’une idée se manifeste et enclenche le processus. Il s’agit souvent d’éléments embryonnaires : un accord, une ligne de basse, ou juste un timbre, qui ont soudain l’air d’avoir quelque chose à raconter, d’avoir une identité.
Une fois que la composition est amorcée, j’ai souvent l’impression que c’est elle qui dicte sa direction, auto-induit son équilibre. Je me contente de la suivre, d’être à l’écoute. Donc en ce sens c’est très intuitif.
Par contre, l’élaboration instrumentale de chaque partie, bien qu’étant tout aussi empirique, ressemble à un travail de fourmi, où chaque corpuscule est remanié, disséqué, permuté, pour essayer de trouver quelque chose d’à la fois évident et élaboré.
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CLÄRCHEN BALLHAUS
Il y a souvent dans tes compositions des épisodes différents, en lien avec une idée initiale. Par exemple, dans « Clärchen Ballhaus » un thème aux mesures et rythmes complexes est suivi d’une section pleine de tendresse sur laquelle se pose une improvisation violonistique, puis d’un solo de piano. Les différentes parties sont unifiées par un motif obstiné et enchaînées de façon organique avec beaucoup d’habileté : comme si chaque nouvelle idée provenait d’un « glissement » depuis la précédente. Dirais-tu que la notion de « variation » est présente dans ton écriture ?
Oui, j’ai grandi avec le jazz, mais la musique dite classique a pris de plus en plus de place au fil du temps. La notion de variation y est beaucoup plus présente que dans le jazz traditionnel, et c’est un moyen que j’ai beaucoup utilisé pour l’écriture des développements, pour éviter la « maigreur » formelle du jazz évoquée plus haut.
Par ailleurs, les approches de l’improvisation des musiciens sont assez différentes tout en donnant un sentiment de belle complémentarité. Comment as-tu rencontré les membres de ton quintette ?
Je n’avais pas du tout envie pour ce projet, d’avoir un quatuor à cordes classique qui « escorte » un pianiste de jazz et qui n’improvise jamais. Mon but était de trouver une configuration qui soit la plus hybride possible, pour avoir une grande variété de scénarios à disposition.
J’ai d’abord contacté Susanne Paul. J’avais entendu son quatuor « MOVE Quartet », qui bien qu’étant composé d’une contrebasse à la place du 2ème violon, me paraissait déjà une très bonne piste pour constituer un quatuor hybride. Elle m’a très vite proposé quelques noms, et même s’il y a eu quelques départs et arrivées depuis, le groupe à toujours été formé de musiciens qui avaient des pratiques de l’improvisation très différentes allant de l’expérimental, au « jazz savant », en passant par la musique des Balkans…
Et dans quelle mesure les propositions des musiciens viennent-elles stimuler ou enrichir ta recherche personnelle ?
Lorsque j’amène une pièce en répétition, malgré le fait qu’elle soit écrite de la première à la dernière note, tout reste à faire. C’est pendant les répétitions, avec les apports de chacun, que les compositions trouvent réellement leur équilibre, sans parler de l’infinie variété qu’offre l’interprétation violonistique qui peut littéralement métamorphoser une pièce. En ce sens, c’est vraiment un travail collectif où toutes les contributions sont précieuses.
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BIRTH OF A SYLPH
Ce morceau qui semble évoquer un paysage nordique est une improvisation libre. L’entente entre musiciens est telle qu’il ne semble pas moins « écrit » que les autres musiques du disque. Comment travailles-tu l’improvisation avec les membres de ton Quintette ? Quelles en sont les consignes ou sources d’inspiration ?
En effet, c’est une pièce entièrement improvisée dont la seule consigne était « assez court ». Lorsqu’on parle d’improvisation libre comme ici, et non d’improvisation plus « contrainte » comme dans les passages plus typiquement jazz du répertoire, j’évite justement de poser des contraintes ou des concepts, je préfère laisser parler l’intelligence collective et le hasard de l’instant. D’autant plus que dès les premières tentatives d’improvisation libre au début du projet, nous avons tous été frappés par la facilité avec laquelle nous arrivions à nous connecter.
Et quelle part accordes-tu à l’improvisation libre dans vos concerts ?
On s’adapte en fonction des endroits dans lesquels nous jouons. Mais il y en a toujours, parfois dissimulée dans une introduction, parfois comme ici, c’est l’entièreté du morceau qui est improvisé. C’est une pratique à laquelle je tiens beaucoup, car elle engendre toujours de l’inédit dans les plans sonores et l’expressivité du groupe. En tant que compositeur, c’est aussi une pratique qui me permet de faire un pas en arrière, et de laisser le quatuor mener la danse.
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JAVANAISE
Ce nouveau répertoire donne le sentiment que ton écriture va plus à l’essentiel qu’auparavant.
Dans ce magnifique arrangement du thème de Gainsbourg, et tout au long de l’album, chaque harmonie est ressentie, les mélodies -écrites ou improvisées- sont expressives, ne bavardent pas. Cela correspond-il à une évolution personnelle ? Et dans quelle mesure l’écriture pour quatuor à cordes t’a-t-elle invité à peaufiner ou raffiner ton langage ?
Ce n’est jamais évident de remarquer soi-même ce genre d’évolution. Mais je pense effectivement qu’étant touché par des choses plus simples, il est naturel que ça se ressente dans mon écriture.
Plus généralement, de quelles motivations est venue ta décision d’écrire pour les cordes ?
Ecrire pour quatuor est une décision que j’ai prise et abandonnée plusieurs fois au cours des quinze dernières années! Comme pour beaucoup de musiciens, le quatuor est une sorte d’idéal instrumental irrésistiblement séduisant. Mais pour quelqu’un qui n’est jamais passé par des études d’instrumentation, de composition, ou de contrepoint, et qui souhaite éviter certains poncifs récupérateurs, l’idée d’écrire pour cette formation devient tout aussi intimidante que séduisante. Il a donc fallu du temps pour voir comment intégrer le quatuor à cordes dans ma musique et dans mon jeu qui est souvent assez dense, sans que l’un ne phagocyte l’autre.
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HANGING GARDENS
Tu qualifies parfois ton style musical de « jazz impressionniste ». Tes bases « jazzistiques » sont bien sûr constamment présentes dans ta musique. Quant à l’impressionnisme : est-ce en référence à la musique française du début du 20ème siècle ? Les harmonies de « Hanging Gardens » rappellent par moment la musique de chambre de Fauré, mais l’expressivité de tes compositions et de ton jeu pianistique me semblent autant romantiques qu’impressionnistes.
Comment décrirais-tu le style de ta musique, et quelles en sont les influences ?
Pour une raison que je n’explique pas du tout, ma musique et mon jeu ont été, au fil des années, de plus en plus comparés à une certaine musique classique, alors que je ne l’ai jamais étudiée et que j’en écoutais que très occasionnellement. Cela m’a donné envie d’aller y voir de plus près, et d’y découvrir, effectivement, une grande affinité avec certains compositeurs de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. De pouvoir également mettre en évidence des intersections entre Ravel, Ligeti, Messiaen, Britten et certains pianistes de jazz contemporain que j’admirais depuis longtemps (John Taylor, Bobo Stenson, Egberto Gismonti, Mario Laghina….).
Romantisme? Oui bien évidemment ! Même si c’est une étiquette plus connotée, il est certain que cela fait partie intégrante de ma manière de m’exprimer.
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HELIX
Dans ce morceau les deux facettes de ton art – écriture et improvisation – sont particulièrement mises en lumière : le compositeur mélancolique, pudique, énigmatique, « interrogatif », et le pianiste incantatoire, ivre, radieux, virtuose …
La musique est-elle pour toi une façon de relier, de réunir des aspects hybrides, voire opposés, de ta personnalité ?
Oui, je pense que c’est deux aspects extrêmement complémentaires de la pratique musicale, et même nécessaires à mon équilibre psychologique!
D’un côté, la composition: l’arrière-boutique, le laboratoire, le temps long, l’élaboration minutieuse, solitaire… Ensuite vient le moment de l’exécution, de l’interprétation que l’on espère à la hauteur de la recette préalablement élaborée.
L’improvisation est pour moi l’autre plateau de la balance, où il suffit de prévoir un espace dans lequel -au prix d’en maîtriser les difficultés- tout peut arriver à n’importe quel moment, où ce sont la spontanéité et l’imprévisibilité qui prennent la barre. J’ai l’impression qu’une improvisation réussie est celle où le musicien ose et parvient à laisser se produire les choses, à ne pas interférer avec ce qui est en train d’arriver, plutôt que de faire preuve de volonté. C’est un état très singulier où l’on est en même temps très « focusé » et en même temps spectateur.
Ces deux aspects : élaboration rigoureuse et lâcher prise, ont des vertus très équilibrantes pour la musique elle-même, pour les interprètes, mais je pense aussi pour l’auditoire qui reçoit inévitablement une énergie très différente qu’il s’agisse de passages écrits au millimètre ou improvisés.
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À MAIN LEVÉE
Le rythme du thème semble une mise en forme précise d’une expression hésitante.
L’Improvisation par contraste semble pleine de cohérence, alors qu’elle est « erratique ».
Tant au niveau de la technique d’écriture que des préoccupations langagières et esthétiques, on se situe là plus près de la musique dite « contemporaine » que du jazz. Aimes-tu surprendre les auditeurs ?
Oui, cette pièce utilise un système de notation graphique non conventionnelle, dont le but est d’arriver à se rapprocher le plus possible du langage parlé, avec ces élans, ces hésitations, mais avec une grande précision d’ensemble et sans squelette apparent.
En effet, je ne me lasserai jamais de surprendre l’auditeur. La surprise est l’énergie qui fait avancer la musique, celle qui tient l’auditeur éveillé. Mais bien sûr, pour surprendre il faut déjà parvenir à installer quelque chose.
Depuis très jeune j’aime cette idée que le métier de musicien ou de compositeur consiste à prendre l’auditeur par la main avec bienveillance pour l’emmener là où il n’aurait jamais imaginé aller.
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SLANDIA
À partir d’un ostinato, tu développes plusieurs plans sonores par additions contrapuntiques, et différentes échelles temporelles, un peu à la manière d’un choral orné. Des procédés qu’on trouve dans certaines musiques américaines mais qui sont dans ton langage appréhendés avec sensibilité, jamais mécaniquement. Quel est ton rapport à la musique dite « minimaliste » ? Et plus généralement, d’où vient ton goût pour les ostinati, les superpositions contrapuntiques et les polyrythmies ?
C’est entre 2000 et 2007, pendant mon passage dans le groupe Piano Seven (7 pianos + percussions) que j’ai vraiment découvert la musique minimaliste. En premier lieu, grâce à toi, tant par la musique que tu écrivais que par les compositeurs que tu me faisais découvrir à cette époque.
Mais j’ai remarqué bien plus tard, que le processus de composition pour ce projet a aussi été très formateur en soi. La quasi infinité de possibilités offertes par ce « monstre » instrumental a développé mon goût pour l’empilement de séquences qui finissent par se fondre en textures, puis passant à l’arrière-plan, pour accompagner une mélodie, qui elle-même engendre une modulation, etc…un peu à la manière d’un long zoom arrière de l’échelle micro à macroscopique.
Au final, j’ai l’impression que la dépaysante complexité du travail d’écriture pour sept pianos et percussions a finalement contribué à fixer une sorte de socle, une mécanique de base dans ma manière de concevoir la composition pour moyens et grands ensembles.
Interview réalisé par Valentin Peiry
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YANNICK DELEZ piano / composition
Musicien autodidacte dès l’enfance, Yannick découvre la musique comme un jeu, sans contrainte ni guide. Il passe tout son temps libre à imiter les pianistes de jazz qu’il entend sur disques et à la radio. A 18 ans, il entreprend des études de piano à l’Ecole de Jazz de Lausanne, où il est engagé deux ans plus tard comme professeur de piano et d’improvisation. Il développe un jeu personnel au sein de nombreuses formations sur la scène helvétique. Puis il rejoint le groupe Piano Seven (7 pianos + invités) avec lequel il enregistre 4 albums, et se produit dans les plus grandes salles de Hongkong, Sao Paulo, Taipei, Singapour, Beyrouth, Pékin, etc... Il participe à 3 créations du groupe pour lesquels il compose et arrange, notamment à l’occasion de l’exposition nationale suisse en 2002. Le premier disque paru sous son nom est un album en piano solo : Rouges (Altrisuoni 2003), salué par la critique internationale. Il y présente toute la particularité de son jeu de piano à la fois pointilliste et lyrique. Dès cette période, le piano solo s’impose petit à petit comme une évidence dans son travail de musicien.
En 2004 il fonde son trio autour d’une instrumentation singulière : piano, clarinette basse et saxophone soprano avec Philippe Ehinger (clar. basse) et Stefano Saccon (sax. sopr.) Le groupe est choisi pour la tournée Swiss Diagonales Jazz 07. En 2004 il forme un Duo avec la chanteuse Chloé Lévy (Chloé Lévy Yannick Délez Duo) ils enregistrent leur premier album Leinicha à Oslo avec Jan Erik Kongshaug. (Jazzman ****, Télérama ffff). Il sort en 2011 son 2ème album piano solo Boréales sous le label Unit Records. L’album enthousiasme la presse internationale (Concerto *****, Jazz & More *****), et lui permet de jouer à travers toute l’Europe.
En 2011 il s’installe à Berlin où il y découvre pléthore de musiques nouvelles, d’alchimies entre le free jazz, les musiques expérimentales et la musique contemporaine. Il s’attelle à l’écriture du projet NUNAMERATA sorte de camerata à géométrie variable, entre le jazz contemporain, la musique improvisée et la musique contemporaine.
Il sort en 2017 son 3ème album piano solo LIVE / MONOTYPES (Unit Record / DeutschlandRadio) qui est acclamé par la critique. L’album est notamment nominé pour le prix national de la critique discographique allemande.
Parallèlement à la scène, Yannick continue à enseigner le piano et la théorie musicale au sein de l’Ecole de Jazz et Musiques Actuelles de Lausanne (EJMA) depuis 1992, ainsi qu’au Département Jazz de la Haute Ecole de Musique de Lausanne (HEMU) de 2006 à 2012.
Lire les autres bios dans le livret
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Gerdur Gunnarsdottir, violon
Rodrigo Bauzá, violon
Raphaël Grunau, alto
Susanne Paul, violoncelle
Yannick Délez, piano / composition
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Cover photo: © 2020 Paola Telesca, Series on Nature
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