(2019) Franz Liszt: Sonate pour orgue & Missa Choralis
Catégorie(s): Chant lyrique Raretés
Instrument(s): Orgue
Compositeur principal: Franz Liszt
Orchestre: Académie vocale de Suisse romande
Nb CD(s): Digital only
N° de catalogue:
DO 1931
Sortie: 2011 / Redist. 15.02.2019
EAN/UPC: 7619931193120
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FRANZ LISZT: SONATE POUR ORGUE & MISSA CHORALIS
Ce qu’il reste à chercher derrière les notes, encore et toujours...
Alors qu’en cette année 2011 chacun mesure à sa manière l’impact de Franz Liszt sur les 200 ans qui se sont écoulés depuis sa naissance, deux phrases bien célèbres pourraient résumer les pensées qui ont guidé mon propre cheminement à ce sujet. Tout d’abord Richard Wagner, disant de Liszt: « Jamais il ne peut se borner à reproduire. Tout en lui tend à la création pure, absolue. » Et ensuite Liszt lui-même, synthétisant peut-être encore plus cette même idée en disant simplement: « Pour moi tout est avenir. » En abordant le répertoire lisztien et à la lumière de ces citations, il est intéressant de se poser ce qui est probablement l’interrogation fondamentale de tout interprète: quelle réalité sonore se cache derrière ces pages écrites, transmises du passé? En effet, il faut se rappeler que d’une époque à l’autre, d’une personnalité à l’autre, les clés de lecture varient beaucoup pour passer de la partition à la musique.
Depuis les pratiques musicales improvisées – que seules la lecture et l’assimilation de méthodes historiques et une connaissance approfondie de l’époque permettent d’entrevoir - jusqu’aux systèmes chargés de signes les plus précis qu’il suffit apparemment d’exécuter, à chaque fois les mêmes questions se posent, avec leur lot de fausses certitudes et de belles incertitudes! Dans le cas précis de Liszt, ainsi que pour la majorité de ses contemporains, l’idée musicale est forcément accompagnée de sa réalisation concrète. Ceci est la conséquence directe d’une période d’invention de nouvelles techniques instrumentales complexes, et de la nécessité de les décrire précisément pour les transmettre, quitte à accumuler signes et symboles. Par exemple, ce qui un siècle auparavant n’était encore qu’un simple chiffrage appelant un accord, sera ici peut-être traduit par une bonne vingtaine de notes dessinant une figure d’arpège, montant ou descendant d’un seul élan ou en plusieurs étapes, accompagnées d’une nuance stable ou évolutive, d’une articulation... Et si cette réalisation s’avère extrêmement minutieuse chez Liszt - comme par exemple justement dans le manuscrit de la Sonate - c’est assurément par besoin de transmettre distinctement à ses interprètes non pas un fourmillement de détails, mais bien une réalité sonore vivante, et de dépasser ainsi le carcan même de l’écriture.
Lorsque l’interprète s’y attelle, l’étude approfondie et méticuleuse de ce texte musical n’est donc qu’un premier pas qu’il serait malheureux d’arrêter au stade de l’exercice de reproduction appliqué et servile, mais qui nécessite plutôt d’être mené toujours plus loin, jusqu’à la compréhension et l’assimilation la plus profonde des idées musicales sous-jacentes, dans un processus allant du détail au général, dans l’espoir de retrouver peut-être au bout du compte cette « création pure, absolue » dont parlait Wagner.
Et alors, de nouvelles questions apparaissent, comme par exemple celle du choix de l’instrument. Car, contrairement à un visage abouti, homogénéisé et idéalisé du piano que le vingtième siècle nous a légué - résumé peut-être par cette magistrale réalisation qu’est le « Steinway D » et allant parfois jusqu’à éclipser tous les autres - il faut rappeler que c’est plutôt un pianoforte «en devenir» qu’a connu Liszt; un instrument d’avenir sans cesse en mouvement, modifié, repensé, étendu, perfectionné. Et, conséquence de cette créativité d’alors, c’est toute une collection d’instruments fort différents qui était proposée, dans laquelle chacun pouvait trouver son compte. Les couples « Liszt & Erard » ou « Chopin & Pleyel » bien connus illustrent par exemple fort bien ces affinités diverses. Mais pour cet enregistrement, plutôt que de choisir un instrument historique ou une copie permettant de retrouver les couleurs sonores de l’époque appréciées de l’auteur – démarche qui avait guidé mon choix d’instruments pour l’enregistrement précédent des six Sonates en trio de Bach - c’est un chemin autre que j’ai choisi, empruntant certains aspects de celui bien connu de l’interprétation sur le piano moderne, mais aboutissant à un résultat différent: l’orgue Goll de l’église française de Berne ! En effet aujourd’hui, à mes yeux et selon ma sensibilité, quoi de mieux que cet instrument-ci pour recréer la Grande Sonate pour le pianoforte, pour reprendre ici son titre autographe? Quoi de plus approprié pour ce monument colossal, cette montagne insaisissable, cathédrale dantesque au milieu d’une production musicale immense? Une oeuvre isolée certes, mais probablement la plus citée pour illustrer le titan que fut Franz Liszt, ce virtuose qui pouvait reproduire d’un flot de notes aussi bien les teintes pastel de l’aurore que celles sanguines des orages, qui tirait à lui seul d’un seul instrument les timbres de tout l’orchestre, dans cette volonté de passer au-dessus de toute perception instrumentale connue, de se transcender lui-même à la recherche d’un au-delà des limites de notre condition humaine.
Bien entendu, mon propos n’est pas d’opposer diverses options, ou d’être à la recherche de la Vérité, mais plutôt de venir compléter encore un éventail déjà considérable de visions de cette oeuvre, de cet auteur. C’est le Liszt curieux et engagé qui me fascine et qui a orienté mon choix, celui qui a poussé ses contemporains à la recherche, à l’invention. Celui qui n’excluait aucune voie a priori, explorant par exemple tout à la fois celle du travail pianistique des nuances sur le seul clavier du pianoforte, par l’action de touchers toujours plus variés, mais aussi celle du développement et de l’invention de nouveaux instruments permettant par eux-mêmes de varier timbres et couleurs, comme en témoigne par exemple le « monstre » à trois claviers et pédaliers de près de seize registres divers qu’il s’était fait construire chez lui, à Weimar. Et ce qu’offre l’orgue Goll de l’église française de Berne – sans prétendre atteindre un horizon vers lequel chacun se dirige - est peut-être aujourd’hui l’instrument idéal allant dans le sens de cette deuxième voie: celle d’une sorte d’orchestre virtuel pouvant être à la fois dirigé dans son ensemble et joué dans le détail de chaque son, ceci ne faisant plus qu’un, par un seul musicien.
D’autre part, il est intéressant de noter encore que l’orgue est un instrument qui, contrairement à la plupart, connaît une dissociation possible de l’évolution de ses moyens de jeu (type de transmission entre les claviers et les tuyaux ou maniement des registres par exemple) de celle de son matériel sonore à proprement parler (la tuyauterie, la soufflerie, et bien entendu l’acoustique qui l’accueille). Contrairement au pianoforte par exemple, qui a vu l’évolution de son ambitus ou de sa mécanique entraîner un inévitable changement de timbre et d’équilibres entre les différents registres sur l’instrument moderne que nous connaissons, un orgue comme celui de l’église française de Berne propose aujourd’hui tout à la fois une transmission mécanique vive, légère et précise, héritée du savoir-faire du 18ème siècle, 66 registres de couleurs et styles variés mais faisant largement référence aux sonorités d’instruments historiques du 19ème siècle, et un maniement de ces registres assisté par un ordinateur tout à fait actuel, permettant à l’interprète d’utiliser seul l’instrument à cent pour-cent, d’appeler et d’utiliser sans l’aide d’un «tireur de jeux» n’importe quel timbre de l’orgue, à tout moment. Ni approche purement historique, ni vision vraiment traditionnelle selon les classifications que ces dernières décennies ont établies, j’ai donc tenté par ce travail de me situer ailleurs, dans une voie autre qui voudrait réunir des éléments trop souvent placés en contradiction. Une voie qui s’intéresse tant aux moyens d’aujourd’hui, dans le travail de la virtuosité par exemple, qu’à une recherche historique, principalement pour le son obtenu par cette nouvelle alchimie. Et fondamentalement, cette approche pleine de contrastes est aussi celle de tout ce disque, où Sonate et Messe sont mises côte à côte pour dresser le portrait d’un homme tout en dualité. De la vie mondaine des « VIP » des grandes capitales européennes du milieu du 19ème siècle à celle monacale, intérieure et intemporelle, vécue par exemple lors de sa résidence romaine sur le Monte Mario qui vit la composition de la Missa Choralis, il est parfois difficile d’imaginer qu’il s’agit toujours là du même homme, de la même vie! Puisse donc cet enregistrement apporter à sa manière un nouvel éclairage sur Franz Liszt, ce musicien fabuleux aux mille facettes; que d’un contraste à l’autre, un dégradé riche de teintes et de sentiments innombrables puisse s’y déployer, dans l’espoir que chacun y entende peutêtre quelques fragments de sa propre musique intérieure...
Benjamin Righetti
Cet album est sorti en 2011 et est redistribué par Claves en 2019
(2019) Franz Liszt: Sonate pour orgue & Missa Choralis - DO 1931
Ce qu’il reste à chercher derrière les notes, encore et toujours...
Alors qu’en cette année 2011 chacun mesure à sa manière l’impact de Franz Liszt sur les 200 ans qui se sont écoulés depuis sa naissance, deux phrases bien célèbres pourraient résumer les pensées qui ont guidé mon propre cheminement à ce sujet. Tout d’abord Richard Wagner, disant de Liszt: « Jamais il ne peut se borner à reproduire. Tout en lui tend à la création pure, absolue. » Et ensuite Liszt lui-même, synthétisant peut-être encore plus cette même idée en disant simplement: « Pour moi tout est avenir. » En abordant le répertoire lisztien et à la lumière de ces citations, il est intéressant de se poser ce qui est probablement l’interrogation fondamentale de tout interprète: quelle réalité sonore se cache derrière ces pages écrites, transmises du passé? En effet, il faut se rappeler que d’une époque à l’autre, d’une personnalité à l’autre, les clés de lecture varient beaucoup pour passer de la partition à la musique.
Depuis les pratiques musicales improvisées – que seules la lecture et l’assimilation de méthodes historiques et une connaissance approfondie de l’époque permettent d’entrevoir - jusqu’aux systèmes chargés de signes les plus précis qu’il suffit apparemment d’exécuter, à chaque fois les mêmes questions se posent, avec leur lot de fausses certitudes et de belles incertitudes! Dans le cas précis de Liszt, ainsi que pour la majorité de ses contemporains, l’idée musicale est forcément accompagnée de sa réalisation concrète. Ceci est la conséquence directe d’une période d’invention de nouvelles techniques instrumentales complexes, et de la nécessité de les décrire précisément pour les transmettre, quitte à accumuler signes et symboles. Par exemple, ce qui un siècle auparavant n’était encore qu’un simple chiffrage appelant un accord, sera ici peut-être traduit par une bonne vingtaine de notes dessinant une figure d’arpège, montant ou descendant d’un seul élan ou en plusieurs étapes, accompagnées d’une nuance stable ou évolutive, d’une articulation... Et si cette réalisation s’avère extrêmement minutieuse chez Liszt - comme par exemple justement dans le manuscrit de la Sonate - c’est assurément par besoin de transmettre distinctement à ses interprètes non pas un fourmillement de détails, mais bien une réalité sonore vivante, et de dépasser ainsi le carcan même de l’écriture.
Lorsque l’interprète s’y attelle, l’étude approfondie et méticuleuse de ce texte musical n’est donc qu’un premier pas qu’il serait malheureux d’arrêter au stade de l’exercice de reproduction appliqué et servile, mais qui nécessite plutôt d’être mené toujours plus loin, jusqu’à la compréhension et l’assimilation la plus profonde des idées musicales sous-jacentes, dans un processus allant du détail au général, dans l’espoir de retrouver peut-être au bout du compte cette « création pure, absolue » dont parlait Wagner.
Et alors, de nouvelles questions apparaissent, comme par exemple celle du choix de l’instrument. Car, contrairement à un visage abouti, homogénéisé et idéalisé du piano que le vingtième siècle nous a légué - résumé peut-être par cette magistrale réalisation qu’est le « Steinway D » et allant parfois jusqu’à éclipser tous les autres - il faut rappeler que c’est plutôt un pianoforte «en devenir» qu’a connu Liszt; un instrument d’avenir sans cesse en mouvement, modifié, repensé, étendu, perfectionné. Et, conséquence de cette créativité d’alors, c’est toute une collection d’instruments fort différents qui était proposée, dans laquelle chacun pouvait trouver son compte. Les couples « Liszt & Erard » ou « Chopin & Pleyel » bien connus illustrent par exemple fort bien ces affinités diverses. Mais pour cet enregistrement, plutôt que de choisir un instrument historique ou une copie permettant de retrouver les couleurs sonores de l’époque appréciées de l’auteur – démarche qui avait guidé mon choix d’instruments pour l’enregistrement précédent des six Sonates en trio de Bach - c’est un chemin autre que j’ai choisi, empruntant certains aspects de celui bien connu de l’interprétation sur le piano moderne, mais aboutissant à un résultat différent: l’orgue Goll de l’église française de Berne ! En effet aujourd’hui, à mes yeux et selon ma sensibilité, quoi de mieux que cet instrument-ci pour recréer la Grande Sonate pour le pianoforte, pour reprendre ici son titre autographe? Quoi de plus approprié pour ce monument colossal, cette montagne insaisissable, cathédrale dantesque au milieu d’une production musicale immense? Une oeuvre isolée certes, mais probablement la plus citée pour illustrer le titan que fut Franz Liszt, ce virtuose qui pouvait reproduire d’un flot de notes aussi bien les teintes pastel de l’aurore que celles sanguines des orages, qui tirait à lui seul d’un seul instrument les timbres de tout l’orchestre, dans cette volonté de passer au-dessus de toute perception instrumentale connue, de se transcender lui-même à la recherche d’un au-delà des limites de notre condition humaine.
Bien entendu, mon propos n’est pas d’opposer diverses options, ou d’être à la recherche de la Vérité, mais plutôt de venir compléter encore un éventail déjà considérable de visions de cette oeuvre, de cet auteur. C’est le Liszt curieux et engagé qui me fascine et qui a orienté mon choix, celui qui a poussé ses contemporains à la recherche, à l’invention. Celui qui n’excluait aucune voie a priori, explorant par exemple tout à la fois celle du travail pianistique des nuances sur le seul clavier du pianoforte, par l’action de touchers toujours plus variés, mais aussi celle du développement et de l’invention de nouveaux instruments permettant par eux-mêmes de varier timbres et couleurs, comme en témoigne par exemple le « monstre » à trois claviers et pédaliers de près de seize registres divers qu’il s’était fait construire chez lui, à Weimar. Et ce qu’offre l’orgue Goll de l’église française de Berne – sans prétendre atteindre un horizon vers lequel chacun se dirige - est peut-être aujourd’hui l’instrument idéal allant dans le sens de cette deuxième voie: celle d’une sorte d’orchestre virtuel pouvant être à la fois dirigé dans son ensemble et joué dans le détail de chaque son, ceci ne faisant plus qu’un, par un seul musicien.
D’autre part, il est intéressant de noter encore que l’orgue est un instrument qui, contrairement à la plupart, connaît une dissociation possible de l’évolution de ses moyens de jeu (type de transmission entre les claviers et les tuyaux ou maniement des registres par exemple) de celle de son matériel sonore à proprement parler (la tuyauterie, la soufflerie, et bien entendu l’acoustique qui l’accueille). Contrairement au pianoforte par exemple, qui a vu l’évolution de son ambitus ou de sa mécanique entraîner un inévitable changement de timbre et d’équilibres entre les différents registres sur l’instrument moderne que nous connaissons, un orgue comme celui de l’église française de Berne propose aujourd’hui tout à la fois une transmission mécanique vive, légère et précise, héritée du savoir-faire du 18ème siècle, 66 registres de couleurs et styles variés mais faisant largement référence aux sonorités d’instruments historiques du 19ème siècle, et un maniement de ces registres assisté par un ordinateur tout à fait actuel, permettant à l’interprète d’utiliser seul l’instrument à cent pour-cent, d’appeler et d’utiliser sans l’aide d’un «tireur de jeux» n’importe quel timbre de l’orgue, à tout moment. Ni approche purement historique, ni vision vraiment traditionnelle selon les classifications que ces dernières décennies ont établies, j’ai donc tenté par ce travail de me situer ailleurs, dans une voie autre qui voudrait réunir des éléments trop souvent placés en contradiction. Une voie qui s’intéresse tant aux moyens d’aujourd’hui, dans le travail de la virtuosité par exemple, qu’à une recherche historique, principalement pour le son obtenu par cette nouvelle alchimie. Et fondamentalement, cette approche pleine de contrastes est aussi celle de tout ce disque, où Sonate et Messe sont mises côte à côte pour dresser le portrait d’un homme tout en dualité. De la vie mondaine des « VIP » des grandes capitales européennes du milieu du 19ème siècle à celle monacale, intérieure et intemporelle, vécue par exemple lors de sa résidence romaine sur le Monte Mario qui vit la composition de la Missa Choralis, il est parfois difficile d’imaginer qu’il s’agit toujours là du même homme, de la même vie! Puisse donc cet enregistrement apporter à sa manière un nouvel éclairage sur Franz Liszt, ce musicien fabuleux aux mille facettes; que d’un contraste à l’autre, un dégradé riche de teintes et de sentiments innombrables puisse s’y déployer, dans l’espoir que chacun y entende peutêtre quelques fragments de sa propre musique intérieure...
Benjamin Righetti
Cet album est sorti en 2011 et est redistribué par Claves en 2019
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