Des amateurs débarquent au Concours Clara Haskil
Mercredi soir, lors de la première soirée des demi-finales du concours de piano Clara Haskil, le théâtre de Vevey fut envahi par une cinquantaine d’amateurs de musique classique invités spécialement pour l’occasion par les membres de la Jeune Critique 2015.
Désireux de partager avec leur famille et amis une partie de leur aventure haskilienne, les musicologues en herbe de l’édition 2015 du concours Clara Haskil ont imaginé une petite expérience qu’ils ont réalisée mercredi 26 août. Pas moins de 50 personnes âgées de 20 à 80 ans ont débarqué à 18h30 sous la Grenette devant l’office du tourisme de la ville de Vevey pour écouter attentivement une présentation de la vie et de la carrière de la fascinante pianiste Clara Haskil, de la naissance du concours, ainsi que du programme interprété le soir-même par les concurrents lors de la demi-finale. Notons au passage que quelques curieux attendant l’ouverture des portes de la salle se sont joints au groupe, enthousiastes à l’idée de participer à l’expérience. A la fin de la présentation, chaque participant a reçu un questionnaire à remplir au cours de la soirée portant sur plusieurs problématiques liées à l’écoute de la musique classique. Puis vint le grand moment : la demi-finale du concours. Trois concurrents : Ismael Margain (France), Misora Ozaki (Japon) et Guillaume Bellom (France). Trois œuvres très différentes : une pièce contemporaine Variations for Blanca composée spécialement pour l’édition 2015 par Thomas Adès, une sonate pour piano et violon de Mozart et une pièce de Schumann. Trois fois 45 minutes de récital. Une soirée bien éprouvante pour nos invités qui ont pourtant été très attentifs tout au long de l’épreuve. Saluons leur prestation, car il n’est pas évident de rester ainsi assis et concentré pendant l’équivalent de trois petits concerts ! Pour remercier leurs invités, et afin de récupérer leurs premières impressions sur les candidats et leurs interprétations, la Jeune Critique, ainsi que le Concours Clara Haskil les ont conviés au Foyer du Théâtre pour un cocktail. Découvrez ci-dessous les résultats du questionnaire qui leur a été soumis et leurs commentaires sur cette expérience.
La plupart des invités ont manifesté au départ une crainte quant à leur capacité à répondre au questionnaire et à juger des performances. La majorité du public présent ce jour-là assistait en effet pour la toute première fois à un concours de musique. Certes, certains avaient déjà une affinité avec la musique classique. Ils en écoutent régulièrement sur disque, à la radio ou en concert ou pratiquent même parfois un instrument. Mais, aucun n’avait encore eu l’occasion d’assister à une compétition de la sorte. S’ils considèrent tous le concours en musique comme un propulseur de carrière pour les candidats et comme une opportunité d’échanges culturels, beaucoup se disent tout de même mal à l’aise avec l’idée de juger de manière relativement subjective des artistes aux personnalités et sensibilités différentes. Qu’ils soient cependant tous rassurés, ils ont réussi cette étape avec brio ! Presque tous les amateurs ont entendu des différences importantes entre les trois candidats. Beaucoup ont trouvé le jeu du premier pianiste, Ismael Margain (France), sec et vif, voire même parfois abrupte. Peu ont apprécié son interprétation des Davidsbündlertänze de Schumann qu’ils ont qualifiée de « sans fin » et même d’« ennuyeuse » malgré sa fougue et ses nuances. Ses pièces manquaient de ce souffle qui transporte l’auditeur vers un monde nouveau. Ainsi, seules deux personnes ont trouvé cet interprète meilleur que les autres. La très jeune japonaise Misora Ozaki a été appréciée par la majorité des participants (19 personnes l’ont inscrite comme leur favorite). Elle a charmé l’assemblée par sa frappe légère et nuancée et par ses interprétations remplies de douceur, de féminité, de vie et d’imagination. Beaucoup ont compris le véritable sens de la pièce contemporaine Variations for Blanca de Thomas Adès grâce à elle. Quant à Guillaume Bellom, le troisième et dernier candidat de la soirée, c’est surtout son interprétation des Davidsbündlertänze qui a marqué le public. Si certains l’ont trouvé « trop classique » voire même « lisse », d’autres ont adoré son énergie et sa force. C’est ainsi que 12 personnes le placent en tête du classement.
Si presque tous les mélomanes ayant répondu au questionnaire ont entendu des différences entre les candidats, tous ne les ont pas jugés selon des critères spécifiques. Une quinzaine de personnes considère qu’il est trop difficile de juger de façon aussi systématique et préfère se fier à leur instinct et leurs émotions. Quant au reste des participants, il semble s’être transformé en véritable jury de concours ! Les voilà parlant de la gestuelle du pianiste, de la musicalité et des nuances, de la dynamique, de la conduite des phrases et du toucher, soit de la plupart des paramètres musicaux qu’un musicien averti considère lors d’une écoute.
La pièce contemporaine de Thomas Adès Variations for Blanca n’a pas fait l’unanimité auprès du public. Certains l’ont appréciée ou du moins l’ont trouvée agréable à entendre pour une pièce contemporaine. « Il y a pire », disent-ils. D’autres cependant ont eu moins de plaisir à découvrir cette pièce. Ils l’ont trouvée complexe, trop originale, parfois même bizarre. Quelques-uns racontent avoir ressenti de la tristesse à son écoute.
Le questionnaire proposait également aux invités de faire un petit exercice pendant leur écoute : fermer les yeux lors d’une pièce ou un mouvement. Le fait de se concentrer pendant quelques minutes uniquement sur l’ouïe a provoqué différentes sensations chez les auditeurs. De manière générale, tous trouvent que la vue altère l’appréciation de la musique. Être privé du sens de la vision permet d’affiner son ouïe et de percevoir tous les détails du son. On est ainsi moins gêné par les distractions parasites. Cependant, la plupart s’accorde pour dire que la vue a aussi ses avantages. Pour beaucoup, c’est un sens vecteur d’émotion. La gestuelle du pianiste et l’expression faciale permettent de vivre le concert en « live » et d’être ainsi plus proche de l’artiste. Ce lien qui se crée avec le pianiste est aussi influencé par le rituel du concert (salut du pianiste au début et à la fin des pièces, silence entre les mouvements, tenues des candidats, applaudissements, etc.). Les amateurs considèrent qu’un tel rituel est nécessaire pour un art aussi complexe que la musique classique. Certains pensent même que c’est le symbole du respect mutuel entre l’artiste et son public.
D’une manière générale, il semble donc que l’expérience menée par la Jeune Critique cette année soit une belle réussite. C’est un public heureux et souriant qui se dirige vers le buffet préparé à son attention au Foyer du Théâtre alors que le dernier concurrent vient de terminer son récital. Tous les invités semblent enthousiastes à l’idée de raconter et de discuter de leur expérience et nombreux sont ceux qui désirent renouveler l’exercice (concours ou concerts). Les plus hardis désirent même remplir le questionnaire une deuxième fois, le lendemain, lors de la deuxième partie des demi-finales ! Au vu du succès de cette soirée, il est certain que les participants en garderont un excellent souvenir.
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