Le Chênois: Une musique universelle
Entretien avec Bianca Favez, violoniste, professeur à l’Accademia d’Archi, violon solo à l’Orchestre du Collège et à celui des Trois-Chêne et avec Vincent Thévenaz, organiste titulaire à Chêne, professeur à la Haute école de Musique de Genève.
Vous venez de sortir “Le chant de l’âme, dialogues avec le Ciel”, un disque de musique classique juive du XXe siècle. Pourquoi avoir choisi ce répertoire?
Bianca Favez – Pour moi, ce disque constitue une étape sur le chemin de ma vie musicale. Tout d’abord, j’aime énormément le répertoire de la musique juive, même si je suis tombée dessus un peu par hasard. À la fin de mes études de musique classique, alors que j’enseignais déjà, la mère d’une de mes élèves m’a apporté des partitions de musique yiddish. Le coup de foudre a été immédiat et comme en plus, à l’époque, je ressentais un besoin profond de renouveau, je me suis lancée à corps perdu dans ce genre de musique. Par la suite, j'ai commencé à jouer dans des synagogues ou lors de mariages et j’ai beaucoup aimé. Maintenant, je fais partie d’un groupe de musique “klezmer”, Hotegezugt. Un autre hasard a voulu que l’on me demande de faire un programme de musique classique juive du XXe siècle, ce qui m’a paru une évolution tout à fait naturelle.
Vincent Thévenaz – Lorsque Bianca m’a proposé de faire ce disque avec elle, je n’ai pas hésité une seconde. Il m’a semblé que c’était une expérience unique d’allier dans un tel cadre l’orgue au violon. Les intensités et les couleurs de ces musiques vont très bien avec mon instrument. En plus, il y a le côté spirituel qui lui correspond parfaitement. J’ai la profonde conviction que ce n'est pas le fait que l'orgue soit dans les églises qui le rend proche de la spiritualité, mais bien au contraire c'est le caractère spécifique de l’orgue qui a fait qu’on le retrouve dans beaucoup de lieux de culte. De ce point de vue, il est intéressant de signaler que, depuis le XIXe siècle, on trouve aussi des orgues dans certaines synagogues. Ce que j’ai découvert dans cette musique m’a totalement fasciné, cet univers qui mêle à la fois le côté spontané et plein d’énergie, au côté mélancolique et émouvant. De plus, le fait de toucher à la fois à la musique classique, au folklore et la possibilité d’improviser m’ont convaincu de me lancer dans l’aventure.
Pourquoi avoir associé violon et orgue?
BF – Ce répertoire existait pour orchestre, mais aussi pour piano seul, pour violon et piano, ou pour piano et orchestre. Mais il m’a semblé tout d’abord, comme le dit Vincent, que le côté spirituel de l’orgue, correspondait parfaitement à l’esprit de cette musique. De plus, je trouvais que l'orgue pouvait exprimer un ensemble d’émotions qui ajoutait une profondeur exceptionnelle à cette musique.
VT – Il ne faut pas non plus oublier que, dans une certaine mesure, l'orgue est un condensé d'orchestre, ce qui donne un dialogue très coloré entre le violon et mon instrument. Un point de détail intéressant c’est que les possibilités de tenue de sons que l’on peut obtenir avec l’orgue donnent une profondeur que n’a pas, par exemple, le piano
Nous sommes bien loin de la musique et des musiciens “klezmer” qui allaient de village en village avec leurs instruments sur le dos?
BF – C’est vrai qu’à l’époque on ne voyait guère d’orgue dans ces orchestres. Mais n’oubliez pas que l’accordéon que l’on retrouve dans la musique “klezmer” est un proche cousin de l’orgue, c’est un peu l’orgue du pauvre! Quant à cette musique juive du XXe siècle, c’est une sorte de cocktail qui réunit à la fois de la musique “klezmer”, c’est-à-dire une musique populaire folklorique, de la musique religieuse juive chantée dans les synagogues et de la musique classique.
Quels sont les compositeurs que vous avez choisis?
BF – Nous en avons sélectionné cinq: Maurice Ravel, Joseph Achron, Marc Lavry, Paul Ben-Haïm et Ernest Bloch. Tous ont vécu au XXe siècle; certains sont juifs, d’autre pas, comme Maurice Ravel. Certaines de leurs compositions sont sérieuses, comme le Kaddish de Ravel, d’autres beaucoup plus légères comme les danses hébraïques de Marc Lavry. À noter qu'Ernest Bloch est né à Genève où il a fait ses études avec Emile Jaques-Dalcroze. Ce disque est bâti autour d’un chemin de vie parsemé de joies et de douleurs, d'émerveillement et de désillusions. Prière des morts ou invocation, joie du mariage ou de la naissance, retour sur soi-même et repentir jusqu'à la joie et la plénitude de l’harmonie retrouvée: voilà quelques-uns des sentiments qui habitent les œuvres musicales choisies, des sentiments qui sont universels et rejoignent les préoccupations de chacun et notre rapport avec ce qui nous dépasse.
Pourquoi avoir introduit, entre chaque morceau, une improvisation à l’orgue?
VT – La vie n’est pas un long fleuve tranquille, elle nous réserve de nombreuses surprises. Ces improvisations à l’orgue c’est un peu ces surprises de la vie. Elles créent un lien entre chaque œuvre, comme pour accepter la réalité et ses imprévus.
Est-ce que ce sont vos origines qui vous ont poussés vers ce type de musique?
BF – Oui et non! Comme je vous le disais, c’est un peu par hasard que je me suis lancée dans la musique folklorique yiddish. J’ai tout d’abord pensé que c’étaient mes origines roumaines qui m’avaient poussé dans cette direction, car il y avait un lien très fort entre la musique “klezmer” et la musique populaire ou tzigane de Transylvanie. Au point que les musiciens “klezmer” et tziganes jouaient indifféremment dans chacune des deux communautés. Pour s’adapter aux circonstances, ils changeaient simplement de costume. Puis j’ai commencé à jouer dans des mariages juifs et je me suis sentie chez moi. Ce n'est que beaucoup plus tard que j'ai appris que j'avais des origines juives par une de mes grands-mères.
VT – S’il est vrai que l’une de mes arrière-grands-mères était d’origine juive polonaise, je ne crois pas que cela ait influencé mon choix. Pour moi, ce qui compte, c’est avant tout la spiritualité qu’inspire la musique et qui transcende de beaucoup les différents lieux de cultes dans lesquels je joue. D’ailleurs, pour moi, ce disque n’est pas spécifiquement juif, ni chrétien, c'est un message spirituel délivré par la musique dans lequel chacun peut être accueilli, y trouver son compte.
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