Crescendo Magazine: Subtils sextuors de Brahms
Pour célébrer les trente ans de leur existence et terminer leur cycle brahmsien entamé en 1994 déjà, les membres de l’excellent quatuor Sine Nomine se sont adjoint les services de Nicolas Pache (ancien altiste de l’ensemble lausannois) et du violoncelliste François Guye pour s’attaquer à deux ouvres relativement négligées du grand compositeur hambourgeois.
S’il est bien connu que Brahms éprouva les pires peines à s’attaquer à la symphonie, il en éprouva tout autant pour ce qui est d’affronter le genre non moins canonique du quatuor à cordes. (On a coutume d’évoquer sa crainte d’affronter l’ombre tutélaire de Beethoven, mais cela ne l’empêcha de commencer sa carrière par la publication de trois sonates pour piano.) Aussi, plusieurs commentateurs voient dans les deux sextuors de Brahms une espèce de galop d’essai avant de s’attaquer à ce qui est communément vu comme le genre musical le plus exigeant de tous. Qui plus est, le sextuor à cordes était alors encore très peu pratiqué, puisque seules les oeuvres de Boccherini et de Spohr pour cette formation avaient été publiées à l’époque. (Vu la renommée de ce dernier à l’époque, Brahms connaissait très certainement l’unique sextuor de Spohr paru en 1850.)
Mais le fait de disposer de la richesse de six instruments à cordes peut amener à hésiter entre deux attitudes: dégraisser la texture pour essayer d’en arriver à une espèce de quatuor légèrement plus opulent, ou mettre à profit la possibilité de faire sonner un sextuor comme un orchestre à cordes miniature.
Tout au long de ces oeuvres, Brahms joue sans relâche des combinaisons sonores que permet cette formation, même s’il opte pour une approche contrapuntique plus fouillée et complexe dans le deuxième sextuor.
Si ces oeuvres sont rarement exécutées au concert et peu enregistrées, le mouvement lent de l’opus 18 -superbe quasi Chaconne néo-baroque- eut son heure de gloire en servant de bande sonore à une inoubliable scène du film « Les Amants » de Louis Malle (1958) où il accompagne une magnifique scène muette (et en même temps si parlante) où Jeanne Moreau et Jean-Marc Bory incarnent deux amants dans une scène à l’atmosphère à la fois retenue et sensuelle. Nombreux sont d’ailleurs ceux qui ont voulu voir dans l’op. 36 un monument élevé par Brahms à la fin de son histoire d’amour pour Agathe von Diebold, alors que le souvenir de sa relation (amicale ou amoureuse, on ne le saura sans doute jamais) avec Clara Schumann, femme de son mentor Robert Schumann, parcourait l’op.18.
Mais ce qui compte plus que tout, ce n’est bien sûr pas la genèse des oeuvres mais les oeuvres elle-mêmes. Et elles sont splendides, ce qui rend encore plus étonnant qu’elles aient été si peu enregistrées, même si le disque nous a laissé quelques splendides témoignages: on pense bien sûr à la remarquable gravure de l’op. 18 par l’ensemble réuni autour d’Isaac Stern et Pablo Casals au festival de Prades en 1952 (Naxos), à l’enregistrement des membres de l’Octuor philharmonique de Berlin (Philips, 1966) ou à celui, référence moderne, du Raphael Ensemble londonien (Hyperion, 1989).
Prônant une approche classique d’une grande hauteur de vues et d’une remarquable finesse, où la sensibilité (réelle) et l’émotion (finement maîtrisée) sont subtilement rendues plutôt que d’être étalées en optant pour une excessive luxuriance sonore ou un vibrato mécanique, les subtils musiciens suisses nous livrent un Brahms aristocratique dont ils font, à juste titre, le plus classique des romantiques.
Son 9 – Livret 9 – Répertoire 10 – Interprétation 9
Johannes BRAHMS (1833-1897)
Sextuors à cordes n° 1 en si bémol majeur, op. 18 et n° 2 en sol majeur, op. 36
Quatuor Sine Nomine, Nicolas Pache (alto), François Guye (violoncelle)
2014-DDD-77’26 - Textes de présentation en français, anglais, allemand- Claves 50-1410
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