(2019) J. S. Bach: Triosonaten
Category(ies): Ancient music
Instrument(s): Organ
Main Composer: Johann Sebastian Bach
CD set: Digital only
Catalog N°:
DO 1930
Release: 2009 / Redist. 15.02.2019
EAN/UPC: 7619931193021
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J. S. BACH: TRIOSONATEN
*** « Les Indispensables de Diapason » ***
Voir en bas de page
***
Ce qu’il reste à chercher derrière les notes…
« Die 6 Clavirtrio, die unter ihren Numern zusammengehören, sind von den besten Arbeiten des seeligen lieben Vaters. Sie klingen noch jetzt sehr gut, u. machen mir viel Vergnügen, ohngeacht sie über 50 Jahre alt sind. Es sind einige Adagii darin, die man heut zu Tage nicht sangbarer setzen kann. »
(Les six trios pour claviers, qui sont regroupés par leur numérotation, sont parmi les meilleurs travaux de feu mon cher père. Ils sonnent encore aujourd’hui très bien, et me procurent beaucoup de plaisir, bien qu’ils aient plus de cinquante ans. Il y a là quelques adagios que l’on ne saurait composer aujourd’hui de manière plus chantante.)
« [...] außer andern Trios für die Orgel sind besonders 6 dergleichen für zwey Manuale und das Pedal bekannt, welche so galant gesetzt sind, daß sie jetzt noch sehr gut klingen, und nie veraltern, sondern alle Moderevoluzionen in der Musik überlen werden. »
([...] outre d’autres trios pour orgue, il y en a six pour deux claviers et pédalier qui sont connus, qui sont composés de manière si galante qu’ils sonnent encore aujourd’hui très bien, qu’ils ne vieilliront pas, mais survivront au contraire à toutes les révolutions de la mode dans la musique.)
A la lecture de ces deux éloges offerts en guise d’ouverture, une idée commune se dégage : Johann Sebastian Bach était moderne, savait utiliser le style galant alors tout nouveau, dans une écriture si parfaite qu’elle ne souffre pas du temps qui passe. Voici un visage du « Cantor de Leipzig » assez peu répandu ! Pas pour la perfection de son travail, qu’un grand nombre de musiciens et connaisseurs reconnaît sans réserve, mais l’image d’un J. S. Bach écrivant une musique up to date, et de surcroît pour l’orgue, peut surprendre. Il est vrai que les six sonates en trio font presque figure d’exception dans sa production organistique, essentiellement composée pour la liturgie luthérienne, dans un style souvent bien plus sévère, parfois en vrai décalage avec le goût de son temps. Et pourtant, ici, tous les ingrédients du style galant sont réunis : la souplesse et le chant des lignes mélodiques, la pureté et apparente simplicité de l’harmonie à trois voix, sans oublier la forme en trois mouvements. À ce propos, il est intéressant de noter que seule cette série de sonates est écrite systématiquement suivant ce plan « vif – lent – vif » alors fraîchement importé d’Italie. À l’intérieur de sa production instrumentale J. S. Bach l’utilise aussi pour ses concertos, mais en revanche pour ses autres sonates, comme par exemple les six sonates pour violon et clavecin obligé (également écrites à trois voix), il lui préfère la structure baroque habituelle, en quatre mouvements.
L’association de ce style galant affirmé aux titres de chacune des pièces de l’autographe, « Sonata à 2 Clav. e ped. di J. S. Bach », a même fait dire à certains musicologues que ce corpus n’était peut-être pas destiné à l’orgue, mais plutôt au clavecin ou clavicorde.
Dans l’Allemagne du 18ème siècle, il était en effet possible de voir installé sous ces instruments-ci un pédalier, pour permettre aux organistes le travail du jeu de leurs pieds sans le secours d’un ou plusieurs souffleurs, alors nécessaires pour faire sonner l’orgue. Mais concernant le choix de l’instrument pour ces sonates, les particularités et atouts de chacun d’eux doivent être rappelées : pour l’orgue, variété de timbres, lisibilité de la polyphonie et puissance permettant une exécution pour un public nombreux ; pour le clavecin, précision des attaques (bien utile à l’apprentissage), beauté et grande quantité d’instruments à deux claviers alors disponibles. Quant au clavicorde, s’il rend possible des expressions et des nuances inégalées au clavier, conduisant à plus de rigueur et de créativité dans le travail, son volume sonore très doux limite son emploi à l’usage « privé » ; d’autre part son fonctionnement interdit la construction d’instrument à deux claviers, obligeant donc le musicien à superposer aussi deux instruments manuels pour pouvoir jouer ces pièces. La complémentarité de ces trois solutions est donc claire, de même que prévaut l’idée que les diverses occasions de jouer cette musique dictaient d’ellesmême le choix de l’instrument, plutôt que celle d’un choix idéal prédéfini : le clavecin ou le clavicorde pour le travail personnel et l’exécution à la maison, l’orgue pour l’exécution publique. Si l’on voulait classer la production musicale de J. S. Bach en deux catégories, on pourrait mettre d’un côté la musique « utilitaire » ou « professionnelle », telle que les concertos écrits à Coethen ou les cantates et passions à Leipzig, directement sollicitée par ses fonctions professionnelles et destinée à l’exécution publique immédiate, et de l’autre la musique « pédagogique » ou « spéculative », telle que la Clavier-Übung, le Clavier bien tempéré ou l’Art de la fugue, terrain de liberté pour ce génie probablement un peu à l’étroit dans le cadre strict de ses fonctions. La dimension pédagogique de ces six sonates est évidente, Johann Nikolaus Forkel précise même dans sa biographie de 1802 qu’elles étaient destinées à la formation organistique de Wilhelm Friedemann, qu’il connut personnellement. Renvoyant ces pièces dans notre seconde catégorie, elle donne par là même une vraie légitimité aux interprétations sur les instruments domestiques. Mais les concerts d’orgue de J. S. Bach, comme ceux attestés à Dresde en l’église Sainte-Sophie dès 1725, où Wilhelm Friedemann sera précisément organiste quelques années plus tard, puis à la Frauenkirche dès 1736, confirment l’existence d’occasions au cours desquelles des sonates en trio, celles-ci ou leurs semblables directement improvisées, ont bien pu être jouées publiquement sur l’instrument roi ! Enfin, pour conclure et confirmer cette question du choix de l’orgue, il faut encore rappeler que l’indication de l’instrument pour lequel une pièce est écrite, au début d’une partition, ne constituait pas une règle générale au début du 18ème siècle. Pour l’orgue justement, en cas d’annotation, il était d’usage de préciser plutôt le type de registration : par exemple « Organo pleno » pour le plein-jeu, ou justement « à 2 Clav. e ped. » lors de l’utilisation obligée de trois plans sonores.
Cette dernière indication, outre dans ces six sonates, se retrouve par exemple pour plusieurs préludes de chorals de J. S. Bach, dont l’attribution à l’orgue ne laisse alors aucun doute !
Le recours à l’orgue pour cet enregistrement étant décidé, s’est ensuite posée la question de la manière de l’utiliser, de le faire sonner. Particulièrement pour la registration des pièces, en l’absence d’indication plus précise de l’auteur que « à 2 Clav. e ped. », les diverses options sont très nombreuses, et du plus discret Gedackt à la brillante Mixtur, c’est une énorme palette de possibilités qui est offerte à celui qui aborde ces pages. En préambule à ce sujet, voici tout d’abord ce que l’on peut dire le plus objectivement possible du trio à l’orgue. D’une part, il s’agit de l’écriture minimale, en-dessous de laquelle toutes les parties de l’instrument baroque germanique ne peuvent être utilisées : avec moins de trois voix, l’utilisation simultanée de la main droite, de la main gauche et de la pédale n’est plus possible. D’autre part, l’orgue ne connaît paradoxalement pas d’écriture musicale plus riche : trois plans sonores indépendants, comme trois solistes dialoguant librement, et tout accompagnement rendu superflu justement par la présence additionnée des trois voix. Quel merveilleux équilibre ! Et tout comme pour la question du style galant évoquée plus haut et la parenté de forme entre ces sonates en trois mouvements et les concertos, revient ici l’aspect concertant de cette écriture. Difficile en effet de l’évoquer sans parler de solistes... et qui dit « soliste », pense assurément « concerto » ! Alors, vient une question : ne faudrait-il pas voir et entendre ces six sonates comme les concertos que S. Bach n’a jamais écrits pour l’orgue ? Il est en effet assez surprenant que d’une part il ait écrit des concertos pour le clavecin ou le violon, des instruments dont il devait certes fort bien jouer, mais que d’autre part il n’ait jamais réalisé leurs homologues pour l’orgue, son véritable instrument, celui sur lequel sa suprématie en tant qu’interprète par rapport à quiconque fut défendue encore longtemps après sa mort, tant par ses fils que par de nombreux élèves et admirateurs. Bien entendu, les six années de résidence de J. S. Bach auprès du prince Léopold à Coethen, qui virent justement la composition de ses concertos, correspondent aussi à un éloignement momentané de l’orgue.
Et par la suite, à Leipzig, il écrira bien l’une ou l’autre sinfonia avec orgue concertant à l’intérieur de ses cantates, cadre offert à ce type d’écriture par sa fonction de Cantor. Donc, une absence de concertos avec orchestre dans l’oeuvre d’orgue de J. S. Bach, simplement par manque d’occasion ? Peut-être en partie, mais tout de même, l’occasion aurait bien pu être provoquée l’une ou l’autre fois, s’il l’avait vraiment souhaitée ! Par exemple, on peut se rappeler qu’en 1717, le Maître de concerts français Volumier n’eut aucun problème à le faire venir de Weimar à Dresde pour qu’il se mesure en public avec un autre Français, Louis Marchand, alors en exil de France ; et ce dans l’espoir, peu avouable mais plausible, de discréditer et faire repartir ce compatriote rival et gênant. Ce service ayant été rendu par J. S. Bach avec le plus grand éclat, il peut alors sembler probable qu’en échange, s’il avait instamment souhaité réunir quelques musiciens pour dialoguer avec l’orgue dans le cadre d’un concert expressément prévu, la chose eût été facilement organisable pour Volumier à Dresde, et un « renvoi d’ascenseur », bien qu’anachronique, eut alors assurément été de bonne guerre !
Un début de réponse à cette énigme se trouve peut-être du côté d’une autre série d’oeuvres, de la période de Weimar justement : les cinq concertos transcrits pour orgue seul. Le fait que le jeune J. S. Bach se soit plu à réécrire pour l’orgue ces oeuvres d’auteurs utilisant un style italianisant ou étant italiens eux-mêmes, dont Antonio Vivaldi, n’est probablement pas anodin. Ces transcriptions illustrent à merveille sa conception de l’orgue : un outil permettant de tenir simultanément les rôles de soliste et d’ensemble, pouvant se montrer tour à tour virtuose ou massif, capable de ciseler les plus fines guirlandes d’ornementation ou d’imposer force et grandeur par-dessus tout. Il y fait la démonstration d’un instrument unique et multiple à la fois, qui tel un orchestre se suffit à lui-même, une vraie alternative d’un ensemble de tuyaux à l’ensemble des cordes. Vues au travers de ces concertos, les six sonates en trio pour orgue apparaissent alors comme la suite logique d’une réflexion sur la forme musicale concertante la plus adaptée à cet instrument orchestre. Toujours seul, il fait cette fois-ci se rejoindre et s’assembler solo et tutti du concerto, dans cette écriture du trio qui marie minimum et maximum de l’orgue, abandonnant le dialogue binaire au profit du chant simultané de trois voix. Pour conclure et tenter de comprendre la raison profonde de cette évolution du concerto à la sonate en trio pour l’orgue, outre la formidable adéquation du trio avec l’instrument déjà exposée, une dimension symbolique des nombres, qui était si chère à J. S. Bach, peut encore être supposée : si dans les concertos, le dialogue de deux entités illustrait la dualité humaine des cours et salons princiers à Coethen ou des habitués du café de Gottfried Zimmermann à Leipzig, il semblerait alors évident que ce soit au travers de « Sonate à 2 Clav. e ped. » que leurs pendants dédiés à l’orgue, instrument d’église à la seule gloire de Dieu, illustrent la trinité divine et son mystère impénétrable d’unité multiple. C’est en tout cas cette conviction personnelle qui a guidé bien des choix au cours de cet enregistrement. En faisant la part belle à une utilisation généreuse de toutes les couleurs de l’orgue baroque allemand, sans exclure a priori aucun registre, en cherchant à faire danser et chanter aussi bien la Posaune que la Rohrflöte, la Vox humana que le Scharff, voici une tentative de faire sonner cette musique galante sublime comme de vrais Concerti à 3 voci per l’organo solo, loin du minimalisme ou de l’intellectualisme que l’économie de moyens et la perfection d’écriture de J. S. Bach ont bien souvent incité les musiciens à souligner.
Benjamin Righetti
Cet album est sorti en 2009 et est redistribué par Claves en 2019
***
Cet album fait partie des « Les Indispensables de Diapason » n° 111, janvier 2019
Six sonates à l'orgue ou dans des effectifs chambristes variés : Gaëtan Naulleau a finement sélectionné dans la discographie tout l'éventail des possibles ouvert par ces compositions.
En lire plus: www.diapasonmag.fr
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Ce qu’il reste à chercher derrière les notes…
« Die 6 Clavirtrio, die unter ihren Numern zusammengehören, sind von den besten Arbeiten des seeligen lieben Vaters. Sie klingen noch jetzt sehr gut, u. machen mir viel Vergnügen, ohngeacht sie über 50 Jahre alt sind. Es sind einige Adagii darin, die man heut zu Tage nicht sangbarer setzen kann. »
(Les six trios pour claviers, qui sont regroupés par leur numérotation, sont parmi les meilleurs travaux de feu mon cher père. Ils sonnent encore aujourd’hui très bien, et me procurent beaucoup de plaisir, bien qu’ils aient plus de cinquante ans. Il y a là quelques adagios que l’on ne saurait composer aujourd’hui de manière plus chantante.)
« [...] außer andern Trios für die Orgel sind besonders 6 dergleichen für zwey Manuale und das Pedal bekannt, welche so galant gesetzt sind, daß sie jetzt noch sehr gut klingen, und nie veraltern, sondern alle Moderevoluzionen in der Musik überlen werden. »
([...] outre d’autres trios pour orgue, il y en a six pour deux claviers et pédalier qui sont connus, qui sont composés de manière si galante qu’ils sonnent encore aujourd’hui très bien, qu’ils ne vieilliront pas, mais survivront au contraire à toutes les révolutions de la mode dans la musique.)
A la lecture de ces deux éloges offerts en guise d’ouverture, une idée commune se dégage : Johann Sebastian Bach était moderne, savait utiliser le style galant alors tout nouveau, dans une écriture si parfaite qu’elle ne souffre pas du temps qui passe. Voici un visage du « Cantor de Leipzig » assez peu répandu ! Pas pour la perfection de son travail, qu’un grand nombre de musiciens et connaisseurs reconnaît sans réserve, mais l’image d’un J. S. Bach écrivant une musique up to date, et de surcroît pour l’orgue, peut surprendre. Il est vrai que les six sonates en trio font presque figure d’exception dans sa production organistique, essentiellement composée pour la liturgie luthérienne, dans un style souvent bien plus sévère, parfois en vrai décalage avec le goût de son temps. Et pourtant, ici, tous les ingrédients du style galant sont réunis : la souplesse et le chant des lignes mélodiques, la pureté et apparente simplicité de l’harmonie à trois voix, sans oublier la forme en trois mouvements. À ce propos, il est intéressant de noter que seule cette série de sonates est écrite systématiquement suivant ce plan « vif – lent – vif » alors fraîchement importé d’Italie. À l’intérieur de sa production instrumentale J. S. Bach l’utilise aussi pour ses concertos, mais en revanche pour ses autres sonates, comme par exemple les six sonates pour violon et clavecin obligé (également écrites à trois voix), il lui préfère la structure baroque habituelle, en quatre mouvements.
L’association de ce style galant affirmé aux titres de chacune des pièces de l’autographe, « Sonata à 2 Clav. e ped. di J. S. Bach », a même fait dire à certains musicologues que ce corpus n’était peut-être pas destiné à l’orgue, mais plutôt au clavecin ou clavicorde.
Dans l’Allemagne du 18ème siècle, il était en effet possible de voir installé sous ces instruments-ci un pédalier, pour permettre aux organistes le travail du jeu de leurs pieds sans le secours d’un ou plusieurs souffleurs, alors nécessaires pour faire sonner l’orgue. Mais concernant le choix de l’instrument pour ces sonates, les particularités et atouts de chacun d’eux doivent être rappelées : pour l’orgue, variété de timbres, lisibilité de la polyphonie et puissance permettant une exécution pour un public nombreux ; pour le clavecin, précision des attaques (bien utile à l’apprentissage), beauté et grande quantité d’instruments à deux claviers alors disponibles. Quant au clavicorde, s’il rend possible des expressions et des nuances inégalées au clavier, conduisant à plus de rigueur et de créativité dans le travail, son volume sonore très doux limite son emploi à l’usage « privé » ; d’autre part son fonctionnement interdit la construction d’instrument à deux claviers, obligeant donc le musicien à superposer aussi deux instruments manuels pour pouvoir jouer ces pièces. La complémentarité de ces trois solutions est donc claire, de même que prévaut l’idée que les diverses occasions de jouer cette musique dictaient d’ellesmême le choix de l’instrument, plutôt que celle d’un choix idéal prédéfini : le clavecin ou le clavicorde pour le travail personnel et l’exécution à la maison, l’orgue pour l’exécution publique. Si l’on voulait classer la production musicale de J. S. Bach en deux catégories, on pourrait mettre d’un côté la musique « utilitaire » ou « professionnelle », telle que les concertos écrits à Coethen ou les cantates et passions à Leipzig, directement sollicitée par ses fonctions professionnelles et destinée à l’exécution publique immédiate, et de l’autre la musique « pédagogique » ou « spéculative », telle que la Clavier-Übung, le Clavier bien tempéré ou l’Art de la fugue, terrain de liberté pour ce génie probablement un peu à l’étroit dans le cadre strict de ses fonctions. La dimension pédagogique de ces six sonates est évidente, Johann Nikolaus Forkel précise même dans sa biographie de 1802 qu’elles étaient destinées à la formation organistique de Wilhelm Friedemann, qu’il connut personnellement. Renvoyant ces pièces dans notre seconde catégorie, elle donne par là même une vraie légitimité aux interprétations sur les instruments domestiques. Mais les concerts d’orgue de J. S. Bach, comme ceux attestés à Dresde en l’église Sainte-Sophie dès 1725, où Wilhelm Friedemann sera précisément organiste quelques années plus tard, puis à la Frauenkirche dès 1736, confirment l’existence d’occasions au cours desquelles des sonates en trio, celles-ci ou leurs semblables directement improvisées, ont bien pu être jouées publiquement sur l’instrument roi ! Enfin, pour conclure et confirmer cette question du choix de l’orgue, il faut encore rappeler que l’indication de l’instrument pour lequel une pièce est écrite, au début d’une partition, ne constituait pas une règle générale au début du 18ème siècle. Pour l’orgue justement, en cas d’annotation, il était d’usage de préciser plutôt le type de registration : par exemple « Organo pleno » pour le plein-jeu, ou justement « à 2 Clav. e ped. » lors de l’utilisation obligée de trois plans sonores.
Cette dernière indication, outre dans ces six sonates, se retrouve par exemple pour plusieurs préludes de chorals de J. S. Bach, dont l’attribution à l’orgue ne laisse alors aucun doute !
Le recours à l’orgue pour cet enregistrement étant décidé, s’est ensuite posée la question de la manière de l’utiliser, de le faire sonner. Particulièrement pour la registration des pièces, en l’absence d’indication plus précise de l’auteur que « à 2 Clav. e ped. », les diverses options sont très nombreuses, et du plus discret Gedackt à la brillante Mixtur, c’est une énorme palette de possibilités qui est offerte à celui qui aborde ces pages. En préambule à ce sujet, voici tout d’abord ce que l’on peut dire le plus objectivement possible du trio à l’orgue. D’une part, il s’agit de l’écriture minimale, en-dessous de laquelle toutes les parties de l’instrument baroque germanique ne peuvent être utilisées : avec moins de trois voix, l’utilisation simultanée de la main droite, de la main gauche et de la pédale n’est plus possible. D’autre part, l’orgue ne connaît paradoxalement pas d’écriture musicale plus riche : trois plans sonores indépendants, comme trois solistes dialoguant librement, et tout accompagnement rendu superflu justement par la présence additionnée des trois voix. Quel merveilleux équilibre ! Et tout comme pour la question du style galant évoquée plus haut et la parenté de forme entre ces sonates en trois mouvements et les concertos, revient ici l’aspect concertant de cette écriture. Difficile en effet de l’évoquer sans parler de solistes... et qui dit « soliste », pense assurément « concerto » ! Alors, vient une question : ne faudrait-il pas voir et entendre ces six sonates comme les concertos que S. Bach n’a jamais écrits pour l’orgue ? Il est en effet assez surprenant que d’une part il ait écrit des concertos pour le clavecin ou le violon, des instruments dont il devait certes fort bien jouer, mais que d’autre part il n’ait jamais réalisé leurs homologues pour l’orgue, son véritable instrument, celui sur lequel sa suprématie en tant qu’interprète par rapport à quiconque fut défendue encore longtemps après sa mort, tant par ses fils que par de nombreux élèves et admirateurs. Bien entendu, les six années de résidence de J. S. Bach auprès du prince Léopold à Coethen, qui virent justement la composition de ses concertos, correspondent aussi à un éloignement momentané de l’orgue.
Et par la suite, à Leipzig, il écrira bien l’une ou l’autre sinfonia avec orgue concertant à l’intérieur de ses cantates, cadre offert à ce type d’écriture par sa fonction de Cantor. Donc, une absence de concertos avec orchestre dans l’oeuvre d’orgue de J. S. Bach, simplement par manque d’occasion ? Peut-être en partie, mais tout de même, l’occasion aurait bien pu être provoquée l’une ou l’autre fois, s’il l’avait vraiment souhaitée ! Par exemple, on peut se rappeler qu’en 1717, le Maître de concerts français Volumier n’eut aucun problème à le faire venir de Weimar à Dresde pour qu’il se mesure en public avec un autre Français, Louis Marchand, alors en exil de France ; et ce dans l’espoir, peu avouable mais plausible, de discréditer et faire repartir ce compatriote rival et gênant. Ce service ayant été rendu par J. S. Bach avec le plus grand éclat, il peut alors sembler probable qu’en échange, s’il avait instamment souhaité réunir quelques musiciens pour dialoguer avec l’orgue dans le cadre d’un concert expressément prévu, la chose eût été facilement organisable pour Volumier à Dresde, et un « renvoi d’ascenseur », bien qu’anachronique, eut alors assurément été de bonne guerre !
Un début de réponse à cette énigme se trouve peut-être du côté d’une autre série d’oeuvres, de la période de Weimar justement : les cinq concertos transcrits pour orgue seul. Le fait que le jeune J. S. Bach se soit plu à réécrire pour l’orgue ces oeuvres d’auteurs utilisant un style italianisant ou étant italiens eux-mêmes, dont Antonio Vivaldi, n’est probablement pas anodin. Ces transcriptions illustrent à merveille sa conception de l’orgue : un outil permettant de tenir simultanément les rôles de soliste et d’ensemble, pouvant se montrer tour à tour virtuose ou massif, capable de ciseler les plus fines guirlandes d’ornementation ou d’imposer force et grandeur par-dessus tout. Il y fait la démonstration d’un instrument unique et multiple à la fois, qui tel un orchestre se suffit à lui-même, une vraie alternative d’un ensemble de tuyaux à l’ensemble des cordes. Vues au travers de ces concertos, les six sonates en trio pour orgue apparaissent alors comme la suite logique d’une réflexion sur la forme musicale concertante la plus adaptée à cet instrument orchestre. Toujours seul, il fait cette fois-ci se rejoindre et s’assembler solo et tutti du concerto, dans cette écriture du trio qui marie minimum et maximum de l’orgue, abandonnant le dialogue binaire au profit du chant simultané de trois voix. Pour conclure et tenter de comprendre la raison profonde de cette évolution du concerto à la sonate en trio pour l’orgue, outre la formidable adéquation du trio avec l’instrument déjà exposée, une dimension symbolique des nombres, qui était si chère à J. S. Bach, peut encore être supposée : si dans les concertos, le dialogue de deux entités illustrait la dualité humaine des cours et salons princiers à Coethen ou des habitués du café de Gottfried Zimmermann à Leipzig, il semblerait alors évident que ce soit au travers de « Sonate à 2 Clav. e ped. » que leurs pendants dédiés à l’orgue, instrument d’église à la seule gloire de Dieu, illustrent la trinité divine et son mystère impénétrable d’unité multiple. C’est en tout cas cette conviction personnelle qui a guidé bien des choix au cours de cet enregistrement. En faisant la part belle à une utilisation généreuse de toutes les couleurs de l’orgue baroque allemand, sans exclure a priori aucun registre, en cherchant à faire danser et chanter aussi bien la Posaune que la Rohrflöte, la Vox humana que le Scharff, voici une tentative de faire sonner cette musique galante sublime comme de vrais Concerti à 3 voci per l’organo solo, loin du minimalisme ou de l’intellectualisme que l’économie de moyens et la perfection d’écriture de J. S. Bach ont bien souvent incité les musiciens à souligner.
Benjamin Righetti
Cet album est sorti en 2009 et est redistribué par Claves en 2019
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Cet album fait partie des « Les Indispensables de Diapason » n° 111, janvier 2019
Six sonates à l'orgue ou dans des effectifs chambristes variés : Gaëtan Naulleau a finement sélectionné dans la discographie tout l'éventail des possibles ouvert par ces compositions.
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